Si vous avez lu les différents articles de présentation de jeu indépendant, vous avez sûrement pu remarquer que j’aimais les jeux centrés sur la question de l’Homme dans les grands espaces. J’ai grandi avec les idéaux des wanderers, ces êtres paisibles, au cerveau torturé, qui marchent vers un but inconnu. Cette admiration pour ce type de personne a démarré avec Into The Wild (livre: Jon Krakauer, 1996. Film: Sean Penn, 2007) et la philosophie de Christopher Johnson McCandless (1968 – 1992), est ensuite arrivé Jack Kerouac (1922 – 1969), le plus connu de ces clochards célestes (The Dharma Bums, 1958) vagabondant sur les routes américaines. Cette envie de liberté s’est forgée à la suite d’un appel de la forêt (The call of the wild, 1906) de Jack London (1876 – 1916), et je souhaite toujours construire ma personnalité de wanderer comme le décrit Sylvain Tesson (1972 -) dans son Petit traité sur l’immensité du monde (2005).

Pour comprendre pourquoi j’idolâtre toute cette philosophie j’ai souhaité lire l’oeuvre à la base du vagabondage : Walden ou la vie dans les bois (Walden; or, Life in the woods, 1854) de Henry David Thoreau (1817 – 1862). Mais bon, enfant emplit de rêves, je n’ai jamais réussi à finir ce livre, l’imagerie dépassant ma pensée, ma concentration s’enfuyant un peu plus à chaque ligne m’empêchait de comprendre ses idées.
Après tout, j’étais devenu un enfant du XXIèmesiècle, un enfant du jeu vidéo. Ce média qui se fait aujourd’hui source de contemplation, de réflexion, d’éducation et trop souvent, de prolongement de notre misérable existence. J’étais donc le plus heureux de ces milliers d’enfants quand j’ai appris qu’un jeu retraçant la vie de Henry David Thoreau existait. Ce jeu: Walden, a game (2017, USC games innovation Lab). Commençons par expliquer le jeu, ce qui résulte à en dépeindre les points positifs, puis on développera l’ensemble des points négatifs le rendant désagréable si ce n’est injouable.



Ainsi, le jeu s’ouvre sur le chemin du Walden Pound (Étang de Walden), Massachusetts, United States of America, où en deux minutes on comprend l’ensemble du gameplay, d’un côté il s’agit de récupérer les pointes de flèches pour que Thoreau lui-même nous narre sa pensée. D’un autre, il s’agit de lutter pour vivre décemment, couper du bois, prendre de la nourriture, construire sa cabane, rafistoler ses vêtements, rester éveillé et inspiré.

Pour le plaisir de tous rien n’est laissé au hasard. Pour se reposer, il suffit de se poser près d’un feu ou de marcher dans la forêt, plus poétiquement encore, pour rester inspiré il suffit de se balader et d’écouter les bruits de l’eau ou des animaux environnants, ainsi que de lire les livres cachés un peu partout dans ce semi open-world.
Pour que la magie soit complète, la voix de Thoreau reprenant ses dires sur la faune et la flore locales et ses pensées extraites de Walden sont doublées par Emile Hirsch. Les plus férus de films de voyage reconnaissent l’acteur principal de Into The Wild. Sa voix chaleureuse, discrète, rassurante va alors nous accompagner, une fois de plus, le long de nos rêveries. Dix ans après la sortie du film, et après une peine de cinq ans de prison pour attaque et empoisonnement d’une productrice de cinéma, l’acteur prête sa voix au philosophe. Bien que je ne sois spécialiste de la vie et des oeuvres de Thoreau, il semble que tout ce qui est dit soit juste, surtout sur les parties énoncées de sa vie. Le jeu ne vous accorde qu’une année dans le bois, bien qu’il semblerait qu’il y a vécu au moins deux.

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Pour nous faire comprendre les liens que partagent Henry avec sa famille, avec son ami Emerson ou bien avec la presse écrite, le jeu fonctionne par un système de lettre que l’on peut lire et relire autant que nous le souhaitons. On retrouve aussi, sous forme de manuscrit, les différents traités qu’il a pu produire, le plus connu étant peut-être celui sur la désobéissance civile, écrit en prison ou bien ses traités contre l’esclavage dans le sud du pays (contexte de guerre de sécession suite aux désaccords concernant l’esclavage notamment). Ce soucis du réalisme se ressent dans les actions que le jeu nous demande de faire.

Le gameplay est au service de l’histoire, on se déplace bien sur avec ZQSD mais lorsque l’on souhaite couper du bois ou lancer sa canne à pêche il faut alors réaliser soi-même le mouvement adéquat. Un coup avec notre souris/stick vers le bas pour couper du bois ou planter des clous pour notre logis ⤸, et des inclinaisons horizontales pour les coups de pagaie et le rafistolage de nos vêtements ⤻. Enfin, la musique d’ambiance, très douce, est propice à l’évasion. Celle-ci est doublée d’un sound design centré sur les bruits de pas, de l’eau et les bruits de la faune locale du massachusetts.
En soit, le jeu semble parfait, on rentre dans la peau du philosophe, on s’y plaît, on y reste, on se balade, on écoute, on voyage, on profite, on apprend une philosophie inattendue, on joue et on ressent quelques émotions. Tout ce qui est bon dans ce jeu est quelque chose que l’on peut faire simplement et à bas prix. Il nous suffit d’aller voir notre bibliothèque préférée, prendre le livre, se remplir une théière, aller dans la forêt et profiter des écrits magnifiques de Thoreau. Le jeu va alors tenter de se démarquer en reprenant les codes du jeu vidéo, pour sa plus value et l’amener à un plus grand nombre. on fait alors face à un jeu hors des codes, tentant de rentrer dans les codes, faits par des personnes qui connaissent trop peu ces codes. (the national endowment for the humanities sont les premiers contributeurs du projet.)

Tout d’abord, une des premières questions que se posent un créateur est celle du genre du jeu: action, RPG, éducatif, platformer, roguelike, etc… il semble préconiser de n’en choisir que deux. C’est dans cette confusion des genres que Walden, a game a le plus péché. Le jeu se souhaite contemplatif et éducatif, pour profiter de la vue du lac et de la forêt, des lectures et des pensées émises par Thoreau. Mais il se veut aussi life simulator et survival.
Le jeu t’impose de faire une expérience semblable à celle de Thoreau, tu dois cueillir et pêcher pour te nourrir sinon tu es affamé et risques de t’évanouir. Tu dois couper du bois
afin de te réchauffer ou tu risques de ne pas avoir assez d’énergie. De même pour tes vêtements à rafistoler, et si ton abri est en ruine tu récupéreras moins d’énergie lors de tes nuits. Le seul endroit au Walden Pound où toutes ces activités sont à proximité, c’est proche de ta cabane
. Donc, pour pouvoir explorer, contempler et étudier, il est nécessaire d’avoir de l’énergie, il est alors conseillé de rester à proximité des feux
, trop espacé des uns des autres. Pour explorer tu vas pouvoir utiliser le bateau
, ou traverser directement l’étang à pied lorsqu’il est gelé en hiver. Si seulement cela ne prenait pas un quart de ton temps à faire le même mouvement répétitif qui marche une fois sur deux. Une fois arrivé là-bas, vous pensez être arrivé au bout de vos peines puisque le solitude cairn est enfin trouvé
, avec un peu de chances, vous avez même peut être trouvé un livre
narrant une pensée philosophique, mais en fait, vous êtes tombés dans le plus gros des traquenards. À peine vos yeux posés sur la faune ou sur les mots, l’ensemble des témoins se mettent à clignoter car votre toît manque de s’écrouler, votre estomac s’est retourné de douleur et vous commencez à geler. En bref, c’est pas fou comme condition de vie, même pour un type perdu au milieu des grenouilles et des rouge-gorges. Vous vous empressez alors de faire demi tour, ramassez le petit–bois ou les planches des abris en ruine
. Vous cueillez des baies en prenant compte de passer par un feu pour pouvoir continuer de courir et entretenir le rêve de comprendre peut-être un jour ce livre. Mais là, tristesse infinie, la nuit tombe. Au matin le narrateur vous somme de retourner à votre cabane car une lettre urgente vient d’arriver. Vous apprendrez que vous êtes chargés de déposer des habits pour deux esclaves en fuite. Sans votre aide, ils seront capturés et très possiblement violentés et tués. Vous faites alors demi-tour à votre cabane et abandonnez tout espoir de vous coucher moins bête ce soir. Après c’est un choix: le plaisir personnel passe, selon moi, après la survie d’opprimés·es ou l’aide que je peux porter à mes amis·es ou ma famille. Bien que le jeu insiste sur le fait que j’ai le choix
, plusieurs tâches te sont demandées
, et ta soeur Sophia
te demande aussi d’explorer plusieurs recoins de l’île (il s’agit d’un jeu de piste autour des solitudes cairns).

Alors pas besoin de se presser sur les tâches, de toute façon vous ne pourrez pas toutes les effectuer pour les raisons énoncées précédemment (la partie survie du life simulator.) J’ai tout de même fait certaines tâches, comme celle de ramener un livre à Emerson (il m’a mis la pression ok?!), je n’avais pas pris le temps de le lire puisque le jeu m’avait prévenu que je pourrais tout lire chez lui plus tard. En rendant le livre, Emerson me propose d’échanger sur un certain passage, je décline gentiment n’ayant pas le passage en tête, le livre non lu. Si j’ai fais ça c’est parce que je me suis dis que comme je peux lire le livre à tout moment, j’aurais le droit à cette discussion à tout moment.
Quelle erreur avais-je fait… Emerson, fort déçu de mon manque d’intérêt (enfin, de mon manque de temps) souhaite alors se consoler, en me disant d’aller chercher un autre livre, de l’autre côté de la forêt. Depuis cette demande, Emerson est incapable de se souvenir de quel passage il souhaitait discuter avec moi. Je n’aurais donc accès à aucun esprit critique sur The Laws Of Manu et autre livre de théoriciens, à mon plus grand regret je vous le concède. Pour continuer, sur les lectures et dialogues: le jeu s’adresse à peu de personnes puisqu’il souffre d’un manque de traduction. Même avec mon niveau décent en anglais, il est parfois difficile de comprendre puisqu’écrit dans le langage courant de 1850. Il m’est encore plus difficile de se souvenir des préceptes de Thoreau au vu de la quantité d’informations dont nous sommes abreuvée. Le jeu propose alors d’écrire l’ensemble de ses pensées dans ce cher livre. Pour s’y retrouver on voit un découpage en saison. Chaque pensée forme alors un paragraphe qui s’enchaîne tous sans lien concret et sans rappel de ce que nous faisions pour obtenir ces précieuses pensées.
Si l’un de vous est apte à comprendre à quoi il fait référence, et ce qui l’a mené à dire cela, je vous salue.)
Enfin, certains problèmes peuvent être outrepassés. Soit par une force mentale impressionnante, soit en achetant des ressources telle une canne à pêche pour pêcher plus de poissons, des bocaux permettant un stockage accru de la nourriture, d’autres objets pour le foyer, le bois ou les vêtements. Mais cela pose deux problèmes, le premier est celui de l’argent, acquis en faisant certains travaux . C’est une honte lorsque l’on souhaite faire vivre aux joueurs la vie de Thoreau qui, lors de son excursion au Walden Pound prônait le retour de la vie sauvage avec le moins d’objet artificiel et le moins d’interaction humaine possible. De plus, cet argent peut aussi vous servir à payer vos taxes annuelles. Chose à laquelle Thoreau se refusait, c’est de cette obligation que naquit son traité sur La Désobéissance civile. Ainsi, la présence quasi-nécessaire du travail à des fins différentes de la survie (le philosophe n’avait rien contre la satisfaction de faire pousser un potager à condition que les ressources n’aient pour finalité d’être vendues) met ce jeu dans une position bâtarde. Il ne peut te permettre d’incarner Thoreau en te proposant décemment d’aller contre ses principes.
Ainsi, Walden, a game est pour moi un mauvais jeu mais un excellent premier jet. Il nous propose d’excellentes idées et de nouveaux buts à ce média récent qu’est le jeu vidéo. À l’inverse, ses problèmes sont trop nombreux et nuisent fortement à cette expérience poussant à la survie en dépit de la contemplation et de l’érudition. Je suis peut-être seulement frustré car c’est un de mes auteurs favoris qui a servi de brouillon dans ce média qui me complait.
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