par Théo Toussaint
En Février 2020, DC Comics publiait en France une histoire alternative inédite nous transportant dans un univers sombre et violent, où l’intégralité des protagonistes de la Ligue de Justice se retrouvait confrontés à un virus mortel transformant la population en mort-vivants. Un an plus tard, que retenir de DCEASED, cette œuvre troublante et fataliste, sur laquelle nous pouvons faire miroiter la situation sanitaire actuelle ?
Une belle histoire d’amour entre les comics et les zombies
Marvel Comics, maison d’édition à laquelle sont rattachées les fameuses licences Avengers, 4 Fantastiques ou X-men, avait déjà proposé une incursion dans ce genre horrifique avec « Marvel Zombies » en 2006. La série, écrite à l’origine par Robert Kirkman, auteur de la bande-dessinée « The Walking Dead », avait connu un immense succès, au point où de nombreux spin-off virent le jour, à une période où les zombies redevenaient à la mode à la fin des années 2000, notamment grâce à de nombreuses œuvres de fictions (films, séries et jeux-vidéos).
« Marvel Zombies » avait la particularité de proposer une vision discursive du modèle super-héroïque en contraignant nos personnages favoris, habituellement parés à braver n’importe quel danger, à fuir face à l’inconnu. Au-delà de la figure du zombie en tant qu’antagoniste, c’est la peur de l’autre et de la maladie qui effraie nos héros, témoins de la transformation de leurs compagnons en créatures mangeuses de chair. Si les grandes figures de la maison des idées sont déjà zombifiées au début du récit, à l’instar de Captain America, Iron Man ou Wolverine, le comics se concentre sur des personnages secondaires ou des héros encore sous-exploités à cette époque comme Forge ou Black Panther. Enfin, Robert Kirkman va s’amuser à déconstruire la mythologie des héros de cette histoire alternative, en détournant leurs symboles, et en massacrant leurs êtres chers.
15 ans plus tard, cette tendance lassante visant à incorporer des zombies un peu partout dans la pop-culture s’est largement affaiblie, en témoigne les chutes d’audiences de la série TV AMC « The Walking Dead » ou l’échec critique du jeu « Days Gone ». Pourtant, DC Comics a souhaité laisser une carte blanche au scénariste Tom Taylor, reconnu pour son travail sur la série « Injustice : Gods Among Us » tirée du jeu vidéo éponyme. Habitué à délivrer des histoires se déroulant dans des univers alternatifs, l’auteur adore jouer avec les codes classiques du super-héros pour imaginer par exemple un monde dans lequel Superman devient dictateur. Si le concept de « DCeased » pouvait préfigurer un synopsis basique, l’auteur a su amener quelques nouveautés au genre éculé pour surprendre le lecteur. L’ambiance oppressante et lugubre du comics est sublimée par les visuels de Trevor Hairsine, qui propose des dessins réalistes, travaillés spécifiquement sur les personnages.
Personne n’est épargné par le virus
« Dceased » nous plonge in media res dans une journée banale pour la Justice League, après que l’équipe de héros ait arrêté Darkseid, un Nouveau Dieu et une menace cosmique permanente pour l’Humanité. Celui-ci se soustrait à la garde des justiciers et retourne sur sa planète afin de préparer un ultime plan contre la Terre, son arrestation n’était qu’une diversion pour capturer Cyborg, il inocule en lui un virus techno organique. Darkseid relâche alors le patient zéro dans la nature, contaminant la terre entière via internet. Regarder n’importe quel écran devient mortel, le virus appelé « Équation Anti-vie » passe par le réseau et le contact physique pour atteindre ses victimes. La population mondiale devient hystérique, les humains se dévorent tandis que les héros tentent de contenir le chaos, passants de protecteurs à fléaux en un claquement de mâchoire.
Dès la préface, extraite d’un article de DC Nation « Tom Taylor finds humanity in horror with Dceased », les intentions du scénariste sont claires : dresser un parallèle entre la diffusion d’un virus mortel, et la rapidité du transfert d’informations sur les réseaux sociaux.
« Métaphore de la rapidité avec laquelle la toxicité peut se propager en ligne, Dceased propulse Internet au rang de super-vilain. Et son éradication semble la condition sine qua non pour mettre fin au virus. »
Pourtant, cette critique ne transparaît pas directement à la lecture du comics. Si la première partie du récit s’intéresse à la propagation de l’épidémie, le reste de l’histoire reste plus conventionnel, et se concentre plutôt sur la fuite des survivants en nous offrant une série de batailles entre les zombies et les héros. Il est tout de même important de noter que l’utilisation du zombie de Tom Taylor vient s’imbriquer dans la tradition de la métaphore politique, initiée par Georges A. Romero dans ses films, critiquant la société consumériste américaine. On retrouve d’ailleurs cette forme de la « zombification » des réseaux sociaux et des smartphones dans « The Dead Don’t Die » de Jim Jarmusch dans un propos bien moins subtil.
Comment mettre à mal les icônes de DC Comics ?
L’histoire dépeinte dans « Dceased » se centre autour de la figure de Superman. Déjà considéré comme un symbole d’espoir dans l’univers des comics, ce trait de personnalité est exacerbé dans ce récit de zombies, où l’homme d’acier viendra sauver ses compères des griffes des mort-vivants à plusieurs reprises. Pourtant, le super-héros de Krypton est lui-même désemparé face à la situation, celui qui se déplace plus vite qu’une balle de revolver n’est pas assez rapide pour sauver les milliers de personnes qui succombent simultanément au virus. Il possède le pouvoir d’entendre à travers des centaines de kilomètres à la ronde, les cris des victimes sont incessants. Le plus fort des super-héros de DC se retrouve impuissant face à la contamination mondiale.
Batman, quant à lui, est rapidement hors d’état de nuire. Un personnage aussi lié à la technologie est rapidement atteint par l’équation anti-vie. Le scénariste vient prendre à contre-pied les attentes des fans, si Batman, le meilleur détective du monde, est souvent à l’origine de plans ingénieux pour démêler des pires situations, les personnages de ce récit vont devoir se débrouiller sans lui. Enfin, « Dceased » impose des situations inédites à des héros et héroïnes souvent laissé.e.s au second plan : Black Canary devient Green Lantern, Mera reprend le trône de l’Altantide et le duo d’antagonistes de la ville de Gotham, Harley Quinn et Poison Ivy prennent une place importante dans l’histoire.
Malheureusement, malgré les 240 pages du roman graphique, on passe trop rapidement d’une scène à l’autre, au point où certains éléments sont rapidement expédiés. On peut saluer l’ambition de tenter d’inclure la quasi-totalité des personnages de DC Comics et de montrer le destin de chacun des protagonistes. Cependant, les relations sont bien trop artificielles et on perd souvent en lisibilité sur la trame principale.
Tom Taylor nous livre un récit unique, qui confronte les figures super-héroïques à une situation catastrophique qui les dépassent. Cette dystopie horrifique vient bousculer les codes établis, et renverse le statut quo : finalement, les super-héros ne peuvent pas sauver tout le monde.
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