EMBRASSER LES CODES OU SE RÉINVENTER ? LE GAME DESIGN À L’ÉPREUVE DE LA NOSTALGIE

par Théo Toussaint

Quels jeux vieillissent le mieux ? Le remake d’une oeuvre ou la reprise d’un genre éculé doit-il nécessairement s’accompagner d’un changement profond des mécaniques de jeu, ou faut-il laisser le gameplay « dans son jus » pour participer à l’immersion dans une temporalité ?

Certains des lecteurs de Tack ont sûrement grandi en découvrant la ludothèque de la Nintendo 64, la console ayant accueillie les premiers jeux 3D produits par la firme nippone. Avec l’essor des jeux de plates- formes en 3D, initié par Super Mario 64 en 1996, Banjo-Kazooie fut une oeuvre marquante, développée par Rareware. Une précision irréprochable pour un platformer, un level design aux environnements variés, une bande-son mémorable, tels furent les éléments retenus dans les critiques dithyrambiques de la presse spécialisée. Le premier titre de la saga des « Banjo » marqua durablement toute une génération de joueurs, avides d’expériences similaires comme « Spyro le Dragon » ou « Rayman 2 ». Si les jeux de plates-formes 3D ont été incroyablement populaires dans la seconde moitié des années 90, le concept s’est essouflé car souvent redondant, mis à part le succès de Mario Odissey & Galaxy, les productions actuelles ont misé sur d’autres genres. Mais après deux décennies de disette, un collectif d’anciens membres du studio Rareware décident de lancer un financement participatif via Kickstarter afin de proposer un successeur spirituel à Banjo-Kazooie.

Avec son univers onirique, coloré et son système de jeu digne d’un plateformer en 3D comme à la bonne époque, le jeu Yooka-Laylee charme les joueurs. Le duo de personnage (Yooka le caméléon vert, et Laylee, la chauve-souris violette) ressemble à s’y méprendre aux protagonistes originaux de l’âge d’Or de Rare : le héros au grand coeur accompagné de son side-kick volant. Sorti en 2017, Yooka-Laylee n’eût pas le succès escompté, les fans furent désagréablement suppris : le gameplay a été vu comme archaïque, la palette de mouvements n’a pas évoluée depuis les opus datés de Nintendo 64, La caméra fixe et les défauts inhérents au positionnement de celle-ci viennent gêner le déplacement. Au-delà de l’hommage, Yooka-Laylee reste embourbé dans des erreurs de Game design déjà présentes depuis les années 90. Une oeuvre vidéoludique accuse le passage des années, si les graphismes peuvent en témoigner, les mécaniques de jeu marquent d’autant plus les modèles de conceptions. Ainsi, il est intéressant de comparer le jeu Doom original sorti en 1993 et son remake/reboot de 2016. Le jeu conçu par John Carmack et le studio id Software, fut l’un des premiers à utiliser des graphismes en 3D immersive, à proposer une action frénétique et une vue à la première personne. Historiquement, Doom devint un modèle d’inspiration dans les années 90 pour un nouveau genre de jeu : le «Doom-like», une première appelation des jeux de tirs en vue subjective avant de laisser place à la dénomination FPS (first person shooter).

Après plusieurs suites et adaptations, la licence Doom fut rebootée, mais l’univers a été conservé. Ainsi, en 2016, les joueurs ont pu retrouver la surface de la planète Mars et son portail démoniaque si atypique, avec ses Cacodémons, ses revenants et autres créatures de l’Enfer. Dans les faits, le titre d’id Software fut entièrement repensé pour correspondre aux impératifs de design digne d’un FPS moderne.

L’inertie et les déplacements du personnage ont subi de grandes améliorations, le level design a été agencé afin d’accueillir plus de verticalité. Ces modifications sont cohérentes avec les réflexions déjà initiée pour le Doom original, l’architecture des niveaux proposait déjà des affrontements sur plusieurs niveaux, des murs inclinés, des espaces ouverts, des ascenseurs. Doom 2016 a largement retravaillé ses combats pour offir une rythmique particulière. Pour récupérer des munitions ou des points de vie, le héros doit attaquer les démons au corps-à-corps. Le game design force le joueur à lancer des attaques directes, le système de jeu prend à contre-pied les mécaniques de « covering » inhérentes à Gears of War, où le but est de se cacher derrière un élément du décor avant de contre-attaquer. Le game-feel (les sensations de jeu) vise donc à faire ressentir une certain puissance dans le combat, via l’avatar, le joueur chasse et écrabouille les créatures démoniaques, dans un jeu très rapide, avec des déplacements hyper fluides pour une action soutenue. Les FPS modernes empruntent désormais plus d’éléments de gameplay tirés des jeux de rôles comme l’arbre de compétences, grinding, interactions dans les dialogues… présents dans Far Cry ou Destiny. Doom fait le choix de proposer une expérience immersive, avec un rythme d’action effréné comme son ainé. Ce choix lui permet de se démarquer au sein des productions actuelles et apporte un vent de fraicheur old school.

Le remake de Doom a donc réussi à moderniser une formule bientôt vieille d’une trentaine d’année en réveillant la fibre nostalgique des joueurs. Les choix de game desing rendent donc un hommage direct aux productions des années 90 avec un retour aux sources pour le genre du fast-FPS.

Le game design est donc vecteur de temporalité. Le jeu vidéo est un art qui se démarque des autres par l’intéractivité proposée avec le joueur. Les jeux de plate-formes en 3D étaient avant tout un terrain d’expérimentation pour les level designers. L’arrivée de la 3D a permis de comprendre et de mettre en place des interactions simples : sauter, se déplacer… Les platformers peuvent créer des effets de perspective, de la profondeur dans les niveaux, une liberté de mouvements…

Mais au fil des années, les mécaniques de jeu ont su se complexifier afin de proposer l’émergence de nouveaux genres. Comme en peinture, on observe un phènomène de réalisme (Edward Hopper) voir d’hyperréalisme (Norman Rockwell) appliqué dans le domaine des jeux-vidéos comme Red Dead Redemption 2 ou Half Life Alyx, dans la quantité d’interactions proposées pour pousser l’immersion toujours plus loin.

D’ici quelques années, ce mouvement d’hyperréalisme dans le game design sera peut-être remplacé par de nouvelles idées inventives afin de redéfinir l’espace et le gameplay dans les jeux-vidéos.

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