Gabbeh , un film de Mohsen Makhmalbaf

critique par Heolruz

Difficile est la définition du travail. D’abord au cinéma mais surtout dans tout l’art puisqu’il est difficile d’associer à un peintre les grands efforts qu’il entreprend pour faire ses tableaux. Ce que j’entends par cette difficulté de définition c’est que l’on s’imagine le pinceau de l’artiste voguer naturellement sur la toile. Comme si, sans aucun effort, l’artiste parvenait à contrôler ses gestes. On résume seulement la toile et sa beauté à un unique produit du génie humain. Plus largement nous ne voyons dans les œuvres des artistes (qu’elles soient cinématographiques ou d’un autre domaine de l’art) que le résultat final. Nous ignorons tout du processus et du travail qui a été accompli, nous ignorons tout des épreuves et des problématiques qui ont été résolues. Si l’on avait conscience des efforts produits pour réaliser de tels résultats, si on les célébrait à leur juste valeur alors sans doute l’Humanité en sortirai grandie. Néanmoins la société dans laquelle nous vivons accorde une place plus importante au produit qu’au processus. La consommation à outrance des biens du capitalisme (dont les films font entièrement partie) n’a pas attiré l’œil du grand public sur le travail fourni et réalisé mais seulement sur celui achevé et poli. Pour raccrocher le sujet du travail au film que je vais vous présenter, je vais reprendre le personnage du peintre. Celui-ci pour réaliser ses tableaux, ses dessins, à besoin de couleurs qui sont présentes dans la nature, mais aussi d’un savoir, d’une maîtrise qui se transmet par les âges. Ainsi voici Gabbeh un film qui s’intéresse à la transmission de ce tapis traditionnel éponyme (gabbeh), un héritage particulier en Perse.

Sorti en 1996, c’est un film iranien de Mohsen Makhmalbaf, à cette époque le réalisateur est très populaire en Iran. Il a réalisé de nombreux films mais aussi joué dans Close-Up (de 1990), œuvre qui est tirée d’un fait divers où un jeune homme se fait passer pour Mohsen Makhmalbaf lui-même afin de vivre plus que dignement. Ce film est réalisé par l’autre grand réalisateur iranien du moment, Abbas Kiarostami (il faut voir Le Goût de la Cerise sorti 1997). Mohsen Makhmalbaf n’a pas le regard tourné vers le grand écran puisqu’il est écrivain. Partisan de la république islamique et opposé au Shah d’Iran, à sa chute il publie deux romans puis se tourne vers le cinéma. Bien qu’il incarne totalement les valeurs du régime, Mohsen Makhmalbaf découvre en visionnant aux archives nationales, l’existence d’œuvres et de travaux qui bouleversent alors sa vision des choses. Il devient dès lors un des critiques du régime. Et il peut se le permettre (l’Iran ne connaîtra qu’un virage autoritaire qu’autour des années 2000) puisque dès 1987 avec Le Camelot, il rencontre un grand succès et acquiert une certaine notoriété dans l’espace public iranien. Gabbeh est pour autant l’une de ses premières œuvres qui connaît une reconnaissance internationale. Et il s’en suivra avec Mohsen Makhmalbaf de très bons films tels que Le Silence (en 1998) ou Le Tableau noir  sorti en 2000 (film réalisé par sa fille, Samira Makhmalbaf et produit par Mohsen et sa société), ce dernier sera récompensé au festival de Cannes. Les succès de la fin des années 1990 cachent néanmoins le désengagement de l’État iranien auprès du cinéma et l’immiscion de plus en plus grande des investissements privés.

Le film Gabbeh fait référence à un tapis persan, c’est un film très coloré. Par définition les tapis persans le sont, ils possèdent toutes sortes de couleurs mais il en existe de nombreux types. Tout comme les tapis ottomans, ils sont faits avec un savoir artisanal très développé et très pointu. On y représente uniquement des formes (en Iran, la religion n’admet pas de représentation humaine) et sont faits avec des tissus précieux. Celui que nous avons dans ce film n’a pas pour vocation d’être vendu, mais d’être donné en héritage. Le tapis est un objet important dans la communauté nomade persane que nous suivons. De plus, il est tout à fait rustique, il n’est pas précieux au sens pécuniaire. Ce sont leur tradition, ils tissent dessus des formes aussi bien humaines qu’animales et représentent des étapes dans la vie des habitant.e.s de la communauté. Par exemple pour un mariage, une naissance, un deuil… Il est doublement important puisqu’il incarne aussi dans ce film une femme qui recherche à tout prix un mari, celle-ci est littéralement dans le « gabbeh », elle est le « gabbeh » et apparaît suite aux discussions où un vieux couple de la région se remémore les souvenirs de leur vie passée. Débute alors une longue histoire d’amour et on comprend vite que ce qui n’était pour nous qu’un simple tapis coloré représente un pan de l’histoire perse. Ces histoires qui s’entremêlent dans une nature traversée par ces peuples nomades célèbrent une vie qui se déroule au rythme des voyages et des quelques rencontres. Ainsi l’oncle apprend aux jeunes enfants ce que la nature apporte, et en cueillant les fleurs aux couleurs primaires il permet à tous de nous rappeler ce qu’est réellement l’éternité. On peut ainsi saisir que le « gabbeh » n’est pas seulement un objet utile mais aussi un savoir, un travail qui possède en lui une âme et le labeur de tout une vie. 

Pour conclure, le cinéma iranien ne se résume absolument pas à seulement Mohsen Makhmalbaf et Abbas Kiarostami bien qu’ils réalisent et réalisaient encore de belles œuvres comme Le Président (en 2015) ou Like Someone In Love (en 2012). Et on connaît sans doute bien mieux Marjane Satrapi, auteure, dessinatrice et réalisatrice, notamment pour Persepolis (en 2007). Il existe pour le cinéma iranien également un cinéma de court-métrage et je pense qu’il est tout à fait intéressant de visionner Hommage aux professeurs (sorti en 1977) d’Abbas Kiarostami qui s’intéresse au dévouement des personnels de l’enseignement, du travail fourni et des efforts produits dans des conditions difficiles.

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