Écrit par Mayli, illustré par @ecchymog
La chasse aux sorcières de la Renaissance comptera quelque 100 000 exécutions en Europe dont principalement des femmes vielles, pauvres et rurales. Entre 1560 et 1660, la répression est brutale, notamment le long du Rhin, mais les femmes sont coupables par nature dans la religion catholique. L’église, qui incite fortement à la délation de ces femmes juives, est bien à l’origine du mythe de la sorcière perverse et du sabbat, cérémonie diabolique dans laquelle orgies fantastiques et cuisine à base d’enfants se mêlent. La sorcière apparait d’autant plus menaçante qu’elle est juive, sa persécution repose alors beaucoup sur un imaginaire du complot dans le cadre d’une répression des hérésies troublant la chrétienté. Si une femme était soupçonnée d’être une sorcière, c’est-à-dire si elle parlait fort ou vivait seule, elle pouvait être torturée jusqu’à trouver la marque du diable ou n’importe quelle cicatrice qui confirmerait son pacte avec lui. Elle était aussi parfois ligotée et jetée à l’eau : si elle restait à la surface, les soupçons étaient confirmés et elle allait au bûcher, si elle coulait, c’était une femme ordinaire mais désormais noyée. La lutte de l’église est redoutable car le diable est accusé de causer tous les malheurs, à savoir le schisme et les épidémies – épidémies amplifiées par le nombre croissant de rats à cause des tueries massives de chats, animal associé à la sorcellerie. Par ailleurs, le développement de l’imprimerie permettra la diffusion spectaculaire du traité Malleus Maleficarum ( ou « marteau des sorcières » ) à la fin du XVème siècle qui diffuse l’idée de l’infériorité de la femme et de la menace des sorcières.
La sorcière, femme indépendante et libre inquiète en effet beaucoup les hommes. Car que reste t-il d’une femme qui n’a ni enfants, ni époux? De la puissance. La sorcière choisit son propre mode de vie, faisant fi des pressions sociales qui demandent à une femme de ne pas avoir de vie sexuelle trop intense, de se marier et d’enfanter, de ne pas utiliser ses savoirs. La sorcière vit seule et s’épanouit en aidant la communauté grâce à ses précieuses connaissances thérapeutiques, bien plus efficaces que les saignées encore pratiquées. La femme célibataire qu’est la guérisseuse incarne l’indépendance, socialement dévalorisée dans l’éducation des jeunes filles. En effet, pour celles-ci, l’épanouissement personnel est apparenté à la fondation d’une famille alors que dans la culture masculine, il n’y a pas de mariage merveilleux mais un désir de conquérir le monde. Si les vielles femmes sont les plus opprimées, c’est parce que leur expérience leur apporte de l’assurance, renforcée par l’absence d’encadrement d’un mari. Elles sont alors moins soumises que les jeunes filles, répondent aux juges et aux bourreaux, arrogance évidemment condamnée dans le modèle patriarcal. De plus, le corps féminin vieillissant est une figure de répulsion, les cheveux gris sont perçus comme un signe de négligence – ou de révolte – puisque la femme doit évoluer le moins possible physiquement. Au contraire, la position dominante des hommes les placent en sujet absolu : l’esprit rationnel est étiqueté masculin et le corps naturel, féminin. Le vieillissement féminin est donc plus problématique, la femme n’étant rattachée qu’à son corps : dans le poème Une charogne de Baudelaire, l’auteur décrit la carcasse en anticipant le destin futur de son amante, sans penser au sien.
Aujourd’hui, l’époque où l’on pensait devoir tuer la femme pour créer l’homme moderne est révolue – si l’on ne tient pas compte des quelques 146 féminicides en France en 2019 (une femme tous les deux jours et demi, augmentation de 21% sur un an). Le retour de la sorcière ces dernières années est fracassant en littérature; les ouvrages Les Sorcières de Céline du Chéné, issue d’une série documentaire sur France culture (2018), et Sorcières La puissance invaincue des femmes (2018) de Mona Chollet, se complètent harmonieuxement pour une rencontre profonde avec les sorcières. Néanmoins, déjà à la fin des années 1960, certains mouvements féministes s’emparent de la figure de la sorcière comme symbole de rébellion. Le groupe WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell), né le jour d’Halloween de 1968 à New York, montrait sa mouvance anti-capitaliste en jetant des sorts devant Wall Street. Les sorcières américaines continuent de se réunir pour ensorceler le président au pied de la Trump Tower, et en France, le Witch bloc Aix-Marseille manifestait en 2019 contre « la marche pour la vie » qui s’attaquait au droit à l’avortement, avec des slogans « le conservatisme, du balais » ou « des embryons pour notre potion ». L’archétype de la sorcière n’est pas uniquement repris pour la cause féministe, les luttes sont nombreuses pour la sorcière – plutôt blanche et plutôt de milieu aisé – d’aujourd’hui comme le proclame le manifeste du Witch bloc Aix-Marseille: « féministes, exclusives, anarchistes, intersectionnelles, contre les oppressions systémiques. Nous sommes antiracistes, antifascistes, anticapitalistes, antivalidistes, protravailleuses du sexe, militons pour les droits de toutes les femmes, cis ou trans, des personnes LGBTQI+, des personnes racisées et notre groupe est anonyme et en non-mixité. » Néanmoins, ce mouvement contemporain ne fait pas consensus et dénote d’un certain white feminism qui s’approprie culturellement des pratiques qui lui sont étrangères et se revendique qu’une mémoire qui n’est pas la sienne. Les féministes racisées rient devant l’oppression que subiraient certaines sorcières néophytes blanches d’aujourd’hui et devant leur ascendance falsifiée.
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