SUPERMAN ÉCRASE LE KLAN

Quand Superman devient spectateur de son propre récit : Superman écrase le Klan

Si la portée symbolique de l’homme d’acier fut remaniée maintes fois selon les impératifs du récit et les envies des scénaristes, il peut illustrer des réflexions sur l’omnipotence de ses pouvoirs, ou sa quête d’identité. Mais ces problématiques peuvent-elles entrer en résonance avec l’arrivée à Metropolis d’une famille chinoise immigrée ?

Faire du neuf avec du vieux

Superman est un personnage iconique de DC Comics, allégorie de l’espoir, citoyen du Monde ou dieu parmi les hommes, chaque auteur peut offrir son interprétation du personnage selon ses propres expériences et ses aspirations. Les thématiques profondes abordées au sein de Superman écrase le Klan s’imbriquent avec le vécu du scénariste Gene Luen Yang. Le créateur est particulièrement impliqué dans la mise en lumière des personnes asiatiques au sein des comics. Il imagina le personnage de Kong Kenan, une version sino-américaine du fils de Krypton dans le premier numéro de New Super-Man, et développa le super-héros chinois Shang-Chi pour Marvel.

Le scénariste estime que les bandes-dessinées peuvent être étudiées dans un contexte pédagogique et apporter une vision éducative sur l’apprentissage de savoirs primordiaux comme les mathématiques, ou sur des conceptions d’ouverture culturelle et de réflexions historiques. C’est dans cette volonté que l’auteur a souhaité réadapter l’arc narratif du combat contre le Klan de la Kroix ardente directement issu de l’émission radiophonique « Les aventures de Superman ». Les producteurs de la série diffusée en 1946 s’étaient déjà engagés à contrer l’expansion idéologique du Ku Klux Klan en décrivant la lutte de l’homme d’acier contre le groupuscule suprématiste. Gene Luen Yang conserve le cadre de l’intrigue originale : l’histoire prend place la même année, alors que Superman démarre ses activités de justicier à Metropolis. Si dans cette nouvelle version, Clark Kent ignore encore ses origines extra-terrestres, il limite également ses capacités pour ressembler au commun des mortels. Lorsqu’il est confronté à la kryptonite pour la première fois, Superman est happé par une curieuse vision qui lui dévoile des parents aliens. Dans un même temps, Lang-Shin « Roberta » Lee et sa famille s’installent dans la banlieue pavillonnaire de Metropolis. La jeune fille éprouve de nombreuses difficultés à s’intégrer dans son nouveau milieu :  elle subit le racisme systémique des jeunes du quartier. Dès leur arrivée, le Klan de la Kroix ardente tente d’intimider les Lee avec une violente attaque contre leur maison. Cet attentat pousse Superman à intervenir pour protéger la famille sino-américaine. Lang-Shin et l’homme d’acier vont alors s’allier pour démanteler le groupe terroriste. Alors que l’enquête va permettre à la jeune fille de s’épanouir, Clark Kent va également découvrir ses véritables origines.

Bien que le projet Superman écrase le Klan fut publié à destination du jeune public, l’approche des discriminations révèle d’une certaine maturité, alimentée par les situations réelles que l’auteur a pu vivre dans son quotidien. Au-delà de cette thématique, l’acceptation de l’identité structure l’entièreté du récit pour les deux protagonistes, à travers le combat contre la secte de la Kroix ardente, Clark Kent et Lang-Shin s’interrogent sur leurs conditions respectives d’immigrés. Les héros vont se confronter dans leur évolution à d’autres archétypes, notamment le père de Lang-Shin, qui s’efforce de s’intégrer en rejetant sa culture chinoise pour s’occidentaliser, ou Chuck, le jeune neveu du Grand Scorpion du Klan, qui remet en cause les convictions inculquées par sa figure paternelle. Grâce à une galerie de personnages particulièrement bien travaillée, l’histoire développe un double niveau de lecture, tout en offrant une emphase sur le rythme. Les péripéties s’enchaînent dans un tourbillon d’action, la mise en scène permet d’intensifier rapidement les enjeux.

Un symbole porteur d’espoir

L’aspect dynamique du comics est porté par les illustrations du duo artistique japonais Gurihiru, leur style visuel s’inspire à la fois des romans graphiques américains et des mangas. Cette hybridation permet de souligner les séquences héroïques par l’ajout de trames et de lignes de vitesse. Cette technique traditionnelle, habituellement utilisée par les mangakas, colle parfaitement à la caractérisation des pouvoirs de Superman. Les combats deviennent plus intenses et les scènes dramatiques gagnent en profondeur. L’apport de l’esthétique manga dans le chara-design des personnages offre une narration non-textuelle bien plus impactante. Les dialogues gagnent en dynamisme grâce à tout un panel d’émotions et d’expressions variées.

Le symbole du Klan de la Kroix Ardente trouve une résonance particulière dans la société américaine post-Donald Trump. Au même titre que la mouvance complotiste QAnon, le Klan est composé de divers profils hétéroclites, d’opportunistes et de fanatiques, dont les travers idéologiques se retrouvent dans toutes les strates de la société : des marginaux ou des policiers corrompus jusqu’aux figures publiques. L’auteur incorpore des subtilités dans la rhétorique des antagonistes en employant des procédés semblables aux fake news pour piéger Superman. Bien que le fils de Krypton tient une place importante au sein du récit, il partage son aventure avec Lang-Shin, son frère Tommy et Chuck. Les trois enfants évoluent grâce à la portée symbolique de l’homme d’acier et s’approprient l’iconographie du bouclier frappé d’un S. Au-delà de la figure super-héroïque, Superman sert de modèle d’inspiration pour les personnages qui suivent une progression narrative finement ciselée au cours de l’histoire. Grâce à l’appui du justicier, les protagonistes s’émancipent de leurs carcans de spectateurs pour devenir acteurs de l’action. 

Les deux personnages principaux, Lang-Shin et Superman, se complètent grâce à une symétrie des points de vue. Leurs personnalisations se superposent, notamment sur la quête d’identité face à la double conscience : les parents de Lang-Shin ont souhaité américaniser son prénom en Roberta, pour lui simplifier son intégration auprès des autres adolescents, cette problématique est similaire pour Clark Kent, qui a enfoui son alter-égo Kal-El. La jeune fille éprouve un sentiment d’isolement afin de comprendre qui elle est et le super-héros doit faire face à une révélation importante, il n’est pas humain. Alors qu’ils combattent le Klan, ils s’apprennent ensemble à accepter pleinement leur condition. Lang-Shin peut être américaine sans laisser de côté ses origines chinoises, Superman peut être Kryptonien sans oublier sa famille d’adoption, les Kent.

Superman écrase le Klan est un véritable bijou à découvrir pour tous les publics, jeunes comme adultes. Le récit offre des pistes de réflexions inédites sur le plus culte des super-héros, tout en dévoilant de nouveaux personnages qui reprennent la lutte de l’homme d’acier contre l’obscurantisme.

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