Article écrit par Mayli
Bientôt les fêtes de fin d’année, les vacances, les repas de famille, bientôt les moments où l’on doit retrouver des personnes que l’on n’aime pas et essayer de faire semblant de bien s’entendre avec malgré tout, le temps d’une après-midi, d’un dîner, d’une soirée. Alors, pour les gens politisés, voilà le temps de sympathiser avec une farandole d’ennemis. Sous prétexte que le conflit nuit à l’ambiance – bon oui, peut-être… – ou que chacun est libre de croire n’importe quoi, il faudrait laisser des personnes étaler des absurdités ? Car le principal reproche fait aux personnes de gauche est « quand même, tu n’es pas très tolérant » parce que s’indigner de voir son beau-frère recevoir comme cadeau de Noël l’oeuvre d’un ancien journaliste qu’il admire, fervent défenseur de Vichy, c’est considéré comme un peu trop intolérant aux idées antisémites et royalistes – c’est du vécu. On confond trop souvent la liberté de conscience avec la liberté de croire et de dire n’importe quoi sans justification – attention : ceci n’est pas un droit – d’autant que les croyances ont fatalement des conséquences sur la vie pratique, les croyances erronées ont donc des conséquences néfastes pour autrui, dont nous sommes responsables.
Le paradoxe de la tolérance, décrit par Karl Popper, affirme que si une société est tolérante sans limite, sa capacité à être tolérante est finalement détruite par l’intolérant. Ainsi, « pour maintenir une société tolérante, la société doit être intolérante à l’intolérance. » Il revendique un droit de supprimer, de façon exceptionnelle, l’énoncé de philosophies intolérantes qui refusent l’argumentation et qui ne sont plus “contrôlées” par l’opinion publique. Défendre la liberté des opinions et croyances de chacun ne peut fonctionner de façon pérenne, il faut que cette société aille à l’encontre de ses principes et combatte les intolérants. Sinon, le risque est de laisser le champ libre à ceux qui ne veulent pas de la tolérance ! La conception de la tolérance de Karl Popper s’inscrit dans le cadre du modèle épistémologique qu’il défend, fondé sur la réfutabilité – idée selon laquelle une théorie ne vaut que si elle se prête à être testée et réfutée. C’est son critère de distinction entre l’énoncé scientifique et le discours idéologique – ou dogmatique – qui récuse l’épreuve des faits et refuse la critique. Mais K. Popper ne va pas assez loin, et pense que la bataille politique est saine à partir du moment où elle est ouverte à la critique ; et qu’il ne faut donc pas interdire les discours intolérants de façon systématique mais, seulement s’ils menacent l’idéal de tolérance de nos démocraties.
Mais j’y vois deux inconvénients : d’une part, certains principes ont été posés au cours d’une Histoire sanglante qu’il ne serait pas nécessaire de remettre en question : l’égalité en droit des humains, l’égalité entre les genres, entre les races, la renonciation à l’asservissement d’un groupe de personnes, à la colonisation ou encore à l’usage de la violence… Ces principes qui ont déjà été acquis ne devraient pas être discutés tous les jours comme si on repartait de 0 dans l’Histoire de l’humanité. D’autre part, il y a un problème évident : le débat politique n’est pas toujours équitable. Certaines idées politiques circulent beaucoup plus que d’autres, pas seulement parce qu’elles font le buzz en créant des émotions fortes – d’adhésion ou de rejet – mais aussi parce que les principaux patrons des médias aiment que le contenu de leurs chaînes leur ressemble. Ces propriétaires de média qui modèlent leurs lignes éditoriales élargissent la fenêtre d’Overton vers la droite – cette fenêtre est une allégorie désignant l’ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme acceptables au regard de l’opinion publique existante. La viabilité politique d’une idée dépendrait du fait qu’elle se situe dans la fenêtre, ce qui l’amène à ne pas être considérée comme extrême. Or, cette fenêtre d’idées acceptables peut être décalée par la promotion d’idées en dehors de cette fenêtre avec l’intention de les rendre acceptables, par comparaison à d’autres idées se situant plus loin encore de la fenêtre. C’est exactement ce qui se passe quand certaines chaînes donnent la parole – beaucoup de parole – à un personnage à l’origine très marginal dans ses idées, mais qui, peut-être à cause du temps de parole important, a pu imposer son vocabulaire et recentrer les débats sur ses propres idées. Le seul moyen pour l’extrême-gauche de s’imposer est donc de déplacer le curseur du débat vers la gauche pour que ses idées apparaissent comme allant de soi : c’est possible si des personnalités de gauche commencent à débattre médiatiquement entre eux. Aux journalistes de laisser place à des débats sur des chaînes publiques à des heures de grande écoute entre Poutou, Mélenchon ou encore Rousseau. Sans cela, la droitisation du débat politique – dans les médias, mais aussi fatalement à table – est loin d’être terminée.
Votre commentaire