« Je crois en Gotham City : Un long Halloween

Des lueurs de la ville aux ruelles malfamées, “Batman : Un long Halloween” propose une plongée viscérale dans une enquête policière où se côtoient activités mafieuses, vilains psychotiques et tueur en série.

Un film noir avec des touches d’orange

Scénarisé par Jeph Loeb et dessiné par Tim Sale, les premières inspirations du récit furent insufflées par l’auteur Archie Goodwin, qui invita les deux créateurs à approfondir le jeu de pouvoirs entre les gangsters de Gotham City au sein d’un polar d’enquête. L’ambiance globale de l’œuvre emprunte grandement à plusieurs courants cinématographiques pour construire une identité visuelle et narrative unique. Des références à l’expressionnisme allemand aux influences des films néo-noir, le roman graphique offre un panel créatif pour étoffer son univers. 

L’élément principal qui articule le récit est le long-métrage Le Parrain réalisé par Francis Ford Coppola en 1972. À travers le chara-design des personnages et l’esthétique de la mise en scène, Jeph Loeb et Tim Sale invoquent l’imaginaire de la mafia dépeinte dans les productions hollywoodiennes. Un long Halloween nous présente dès son introduction les grandes figures de la pègre. La famille Falcone, dirigée par Carmine dit “Le Romain” lutte contre leurs rivaux, les Maroni, commandés par Salvatore alias “Le Boss”. Pour étendre leur influence, les Falcone scellent une alliance par un mariage avec la famille Viti, à la tête de la mafia Chicagoise. Les réjouissances laissent place au deuil et cette réconciliation est rapidement écourtée, lorsque le marié, Johnny Viti, est retrouvé assassiné à son retour de noce, le jour d’Halloween. Un seul indice est retrouvé sur la scène de crime : une citrouille orange déposée après l’homicide. Dès lors, des meurtres perpétrés contre les proches du Romain et du Boss se produisent les jours de fête, comme une malédiction sordide poursuivant les familles mafieuses. Les médias finissent par baptiser le tueur en série “Holiday”. Ces événements ravivent les tensions entre les gangs rivaux, chacun accusant l’autre d’être Holiday. Pour éviter l’embrasement de Gotham City, trois protagonistes s’unissent pour résoudre l’enquête : le chevalier noir Batman, le commissaire Jim Gordon et le procureur Harvey Dent.

L’alter-ego du super-héros, Bruce Wayne, prend une place toute aussi importante au sein du récit. Le scénariste explore sa relation avec son majordome Alfred et son rapport au décès de ses parents, exécutés par un malfrat lorsqu’il était enfant. Les deux autres détectives sont également humanisés et poussés dans leurs retranchements psychologiques et moraux. Le policier et le juge forment un tandem dysfonctionnel qui se délite au fil des chapitres. Au fur et à mesure que l’enquête s’étale dans le temps, la surcharge cognitive et la pression d’être mis en échec finit par les opposer dans leurs visions de justice. Alors que Jim Gordon prône le contrôle de soi et l’intégrité, Harvey Dent sombre peu à peu dans l’extrémisme, quitte à employer des méthodes criminelles pour obtenir des résultats. Cette thématique de l’anti-héros corrompu par ses vices et agissant sans l’approbation de l’autorité n’est pas sans rappeler les oeuvres néo-noir, comme Taxi Driver réalisé par Martin Scorsese en 1976 ou L’Inspecteur Harry de Don Siegel en 1971. L’identité visuelle reprend également les codes du film noir : les contrastes pratiquement monochromes laissent une place principale au vide et à l’obscurité. La ville y apparaît comme étouffante, poisseuse et plongée dans la pénombre, où seuls les néons des échoppes et les lueurs de l’éclairage urbain arrivent à rompre la nuit. Les procédés narratifs filmiques y sont aussi transposés dans un équivalent graphique. Si les long-métrages policiers du genre usent de la voix-off pour décrire l’intrigue, c’est Batman lui-même qui endosse le rôle de narrateur via ses monologues internes.

L’horreur d’Halloween

La traque du tueur Holiday n’est pas la seule préoccupation du chevalier noir : régulièrement, son enquête est momentanément mise en pause pour lutter contre les autres menaces qui planent sur Gotham City. Ainsi, Batman est confronté au Joker, à l’Épouvantail, à Poison Ivy, Salomon Grundy, ou à Catwoman. Au-delà d’affrontements ponctuels, le récit met en avant les relations qu’entretient le héros avec ses antagonistes. L’une des idées principales de l’intrigue est de développer la corrélation entre l’arrivée du justicier pour combattre le crime et celle de ces nouveaux malfrats fantasques et psychotiques. Dans une hypothèse soulevée par les proches de Batman, il serait finalement à l’origine de la hausse du banditisme, ses némésis étant galvanisés à l’idée de se mesurer au détective. Si ses actions attirent directement les vilains à s’opposer à lui, la croisade du protecteur de la ville est finalement caduque.

Les tonalités utilisées accentuent le contraste avec des oppositions sombres et froides et des panels de couleurs vibrantes et lumineuses. Certains procédés renforcent l’atmosphère globale comme le ciel bleu foncé rappelant les nuits américaines, au costume gris uniforme du justicier se fondant dans la jungle urbaine. À l’inverse, des personnages hauts-en-couleurs font irruption dans le récit pour casser cette dynamique et offrir des interactions inédites entre les deux univers.

Si le roman graphique est inspiré par le cinéma, c’est celui-ci qui sert également de socle pour une partie des adaptations cinématographiques du chevalier noir, à l’instar de la trilogie The Dark Knight initiée par Christopher Nolan ou la prochaine itération en long-métrage, The Batman réalisé par Matt Reeves. Le découpage de l’action semblable à celui-ci d’un story-board vient consolider les liens entre les deux médias.

“Batman : Un long Halloween” s’attelle à opérer une relecture moderne des influences graphiques et filmiques des années 70. Son mix d’inspirations variées sert encore aujourd’hui de pilier dans la mythologie du super-héros de Gotham City.

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