Au livre qui termine sur une musique de Joe Dassin.
Par Noémie Sulpin
J’ai découvert récemment l’œuvre Zai zai zai zai de Fabcaro, un auteur de bande dessinée français né en 1973 à Montpellier. Ce roman graphique est paru en 2015 aux éditions Six pieds sous terre et a reçu pour son humour burlesque et sa satire fine de l’ultra médiatisation, le Grand Prix de la critique ACBD en 2016. Entièrement illustrées de jaune et de noir on s’aventure dans une folle cavale de page en page. , “Batman : Un long Halloween” propose une plongée viscérale dans une enquête policière où se côtoient activités mafieuses, vilains psychotiques et tueur en série.

La stigmatisation au coeur de l’information
Le fugitif est auteur de bd. Décrié, critiqué, moqué, sa profession est dans l’œuvre une véritable honte, une raison qui justifie son acte de délinquance.
On ressent à la lecture qu’il fait partie d’un groupe visiblement marginalisé régulièrement par les différents personnages publiques représentés, et symboliquement représentatif de la communauté musulmane attaquée de toute part par différents partis politiques à longueur de journée. La fuite de l’auteur de bd est ici divertissante, elle permet à la plupart des personnages de second plan comme la boulangère ou l’homme au bar de se changer les idées, d’oublier leurs problèmes. Il représente un sujet de conversation sur lequel on peut laisser libre cours à son imagination. On voit également que la catégorie des artistes en général est discriminée. En effet le célèbre laïus “je ne suis pas raciste, j’ai un ami noir” est ici réutilisé par une femme aux revenus visiblement confortables : “ la fonction n’a aucune espèce d’importance à nos yeux […] on a même une amie qui fait des bijoux orientaux dis-lui…” Ce climat d’intolérance règne sur plusieurs cases et peut même être interprété comme intrinsèquement lié aux valeurs de la République. De quoi critiquer le rejet auquel peuvent être confrontées les communautés religieuses ou ethniques en France.
On rit jaune : l’égoïsme en quelques bulles
Ce crime contre la société de consommation prend très vite une ampleur démesurée. Parmi les rires certains sonnent légèrement plus faux.

Le manque de tact avec lequel les rencontres se font et se défont, met en lumière des personnages autocentrés, qui n’ont peur ni d’humilier pour se sentir briller, ni de se complaire dans leur propre bien être aux dépens des autres. C’est un roman graphique dans lequel la pudeur et la retenue n’existent pas. L’empathie, l’inquiétude non plus. On sent un détachement total avec la présomption d’innocence ou le sort du fugitif, puisque la plupart le dénoncent sans preuve ou finissent par recentrer le sujet sur leur propre victoire… comme un super appareil à raclette. On met en avant ses biens “La Grande maison blanche à 245 600 que mon époux et moi avons fini de payer du fait de notre situation financière confortable ”, son confort, son emploi à rallonge au généreux salaire, ses préjugés sur la bonne éducation… Le bonheur des personnages semble vouloir se focaliser sur leurs possessions matérielles et non sur leur rapport aux autres.

Heureusement, il y a l’absurde.
“L’art absurde permet de parler de choses compliquées de manière “simple” car il n’y a aucun raisonnement à reconstruire. On perçoit par le rire ou par la consternation les problèmes qu’une chose pose. Quelque soit la réaction, l’œuvre opère dans tous les cas.” – Nathalie Hof ; OAI13
Mine de rien, on rit beaucoup. Toutes les situations sont cocasses, les chutes sont fines et drôles et m’ont personnellement rappelé des situations vécues. Certaines pages ne servent qu’à amener une nouvelle blague tout en gardant un lien avec l’histoire. Ces instants sont nécessaires pour nous rappeler que c’est le comique qui apporte la critique. L’absurde ici ne fait qu’accentuer une réalité grotesque que les médias diffusent et produisent sans prendre de recul sur leur impact et leur contenu. Tout le scénario est basé sur le non-sens, l’exagération et l’argumentaire irrationnel que le préjugé construit. L’auteur arrive à nous surprendre de par la forme de son récit divisé en plusieurs sketchs courts qui montrent les réponses apportées par toutes les strates de la population. On passe souvent d’un sujet à l’autre sans transition, un procédé étonnant et captivant qui fait monter crescendo la fuite bricolée de Fabrice.
En somme, je pense qu’il est intéressant de découvrir ce roman graphique de Fabcaro à deux mois de l’élection présidentielle pour réaliser que la couverture médiatique de certaines idées nauséabondes appartient au registre du grotesque. Diversifiez vos sources d’informations, ne vous divertissez pas sur BFM et prenez soin de vos proches. Et de toute façon si vous ne le faites pas, attention, je n’aurais pas d’autres choix que de faire une roulade arrière, à vos risques et périls.
Votre commentaire