Le 8 novembre 2016, Donald Trump est désigné comme le 45e Président des États-Unis. La campagne électorale mouvementée inspira les auteurs qui souhaitaient retranscrire cette escalade des « fake news » sous les traits de Loki, le dieu du mensonge de l’Univers Marvel.
La liberté guidant le peuple
Alors que les élections présidentielles américaines se profilent au cours de l’année 2015, Tom King, scénariste du comics The Vision, émet l’envie de parodier le système politique en y incorporant la divinité Asgardienne de la malice et des mensonges, Loki. Malgré l’engouement suscité par le projet initialement intitulé Loki for America, il est contraint de l’abandonner pour se consacrer à l’écriture d’une nouvelle série : Batman. Il confie l’exploitation de ses idées à Marvel, et la tâche incombe à Langdon Foss et Christopher Hastings d’étoffer les premières ébauches de King pour développer une trame complète, tout en scrutant d’un œil avisé l’actualité politique.
Si le synopsis original se focalisait sur l’investiture du dieu nordique, la nouvelle version proposée par Foss et Hastings propose au lecteur de suivre une course frénétique à la présidence dans laquelle Loki s’est immiscé malgré lui, sous la forme d’un thriller politique rempli de rebondissements. Le récit débute à la suite d’un débat entre les représentants du Parti Démocrate et Républicain, une conférence de presse est organisée avec les deux membres des partis traditionnels américains. Alors que des terroristes de l’organisation Hydra tentent d’assassiner les politiciens, Loki s’interpose et se présente de façon détournée comme candidat potentiel aux élections.
Sa présence vient éclipser l’influence des autres concurrents, en s’accaparant l’intérêt des médias et des réseaux sociaux, le dieu d’Asgard lance un défi politique : « Amérique, si j’étais ton président, j’aurais le cran de te mentir en face, et tu adorerais ça ». Cette mise en avant de sa réputation d’antagoniste perfide n’est pas sans rappeler la même utilisation de l’image sulfureuse de Donald Trump lors de sa première campagne électorale. Comme l’affirmait l’homme d’affaires durantsa candidature aux primaires républicaines le 16 Juin 2015 : « Je dispose de plus de 10 milliards de dollars… Je ne dis pas ça pour me vanter, parce que vous savez quoi ? Je n’ai pas à me vanter. Je n’ai pas à le croire, croyez-le ou non ».
L’histoire de Votez Loki propose des parallèles intéressants qui font écho aux positions réelles de Trump. La Latvérie, contrée imaginaire d’Europe de l’Est et bastion du Docteur Fatalis, l’ennemi juré des 4 Fantastiques, cristallise une allégorie des pays du Moyen-Orient. L’une des promesses de campagne en 2016 du candidat républicain était le retrait des soldats américains dans les différents conflits engagés depuis 2001. Celui-ci avait également déclaré « Les Etats-Unis doivent rester en Irak pour pouvoir garder le pétrole » en 2011. Loki propose les mêmes paradoxes dans ses discours : il discrédite d’abord les autres candidats pour montrer leur inaction face aux groupes terroristes de Latvérie dans un spot publicitaire ; pour ensuite annoncer qu’il n’y enverrait pas de troupes américaines, à l’inverse des autres politiciens, estimant que ses soldats n’y seraient pas envoyés pour y mourir ; pour finalement s’impliquer secrètement en Latvérie en éliminant les chefs terroristes afin de protéger sa nation et ses soldats. Si ces trois actions n’ont aucune cohérence politique, elles ridiculisent les autres partis et renforcent la stratégie populiste de Loki, qui agit en fonction des réactions des électeurs. Cette méthode est également utilisée par Trump, qui changea finalement d’avis pour renforcer les effectifs militaires américains en Afghanistan en 2017.
Le comics prend également le temps d’insérer des scènes de vies quotidiennes et de réactions de quidams. Bien loin d’une diabolisation des soutiens du dieu nordique, on assiste régulièrement à des scénettes mettant en lumière des personnes lambda, désabusées par le système politique, et séduites par le charisme et le franc-parler de Loki face à des représentants des autres partis trop lisses. L’asgardien va ainsi conquérir une partie de la population avec des éléments de langages et des manipulations alambiquées, sans pour autant proposer une vision claire et un objectif politique, si ce n’est celui d’être élu.
Héroïsme & journalisme
Si la préface de Votez Loki s’attarde à décrire l’histoire et l’importance de la BD politique, on retrouve ce type d’inspirations dans la création du comics. Les dessinateurs Langdon Foss et Paul McCaffrey, l’encreur Dick Ayers et le coloriste Chris Chuckry, ont souhaité mixer des influences cartoons et réalistes pour offrir un hybride rendant hommage aux dessins de presse. Cette considération particulière autour des thématiques du journalisme s’accompagne d’une plongée dans le quotidien du personnage principal du récit : Nisa Contreras, reporter au Daily Bugle. Marqués depuis son enfance par l’affrontement entre les héros et les vilains de l’univers Marvel, Nisa et sa famille furent laissés pour compte lorsque leur maison du Lower-East Side fut détruite au cours d’une bataille entre les Avengers et Loki. Devenue journaliste d’investigation, la jeune femme dénonça le détournement de fonds opéré par le gouverneur de New-York chargé de la reconstruction du quartier pour financer sa campagne électorale.
Nisa représente l’archétype du personnage intègre, absolument opposée à la candidature de Loki et prête à tout pour arriver à faire changer l’opinion publique pour empêcher l’élection du dieu de la malice. Ses idéaux viennent contrebalancer une autre image de la presse véhiculée au sein du récit : celle du journalisme-spectacle, qui participe à la défiance des citoyens vis-à-vis des politiciens ou à leur cynisme du système politique. Si certaines figures bien connues du paysage médiatique, à l’instar de Donald Trump, ont pu bénéficier d’un relai amplifié de leurs discours sur certains canaux d’information, comme les réseaux sociaux et les chaînes d’informations en continu, Votez Loki parodie les schémas éditoriaux de Fox News qui relaient, sans beaucoup d’états d’âme, les dérapages politiques pour augmenter l’audience.
Ainsi, les médias dépeints dans le comics usent de la communication négative pour asseoir la candidature de Loki. Ce mode de fonctionnement est décrit par l’enseignant-chercheur en science politique Pierre Lefébure dans son article « De la castagne en campagne : la communication électorale négative, fait politique et objet d’étude » issu de la revue Questions de communication : « La négativité y est mobilisée sous toutes ses formes, y compris la calomnie qui rejoint les pratiques d’information trompeuse dites fake news. […] La rhétorique et les discours négatifs accompagnent des processus effectifs de dégagisme ou de neutralisation à l’encontre de diverses strates et générations du personnel politique. »
Ces deux visions du journalisme vont alors s’entrechoquer pour déterminer l’avenir des États-Unis. Nisa Contreras doit utiliser son intellect et son sens de l’observation pour arriver à discréditer Loki. Cette valorisation de la recherche de la vérité apporte une vraie bouffée d’air frais dans la manière de décrire le travail de journaliste, qui avait été largement critiqué par l’ancien président Trump. Lors de ses discours de campagne en 2016, l’homme d’affaires avait accusé certains médias d’être « des ennemis du peuple », notamment le New York Times, qu’il considérait comme « défaillant » ou CNN, vecteur de fake news. En rétablissant l’héroïne comme rempart contre les dérives de puissants manipulateurs, les scénaristes questionnent la défiance de la population contre les médias face à une démarche honnête et sincère de quête de la vérité.
Si Votez Loki fut rédigé alors que l’issue du scrutin était alors incertaine, beaucoup des éléments dépeints au sein du comics trouvèrent une résonance particulière les années suivant sa publication. Malgré les thèmes importants inscrits au sein du récit, celui-ci conserve une certaine légèreté, avec de nombreux apartés qui rappellent le grotesque de la situation. Votez Loki vient finalement exorciser le fantôme de Trump, en démolissant complètement la logique de l’ancien président qui, on l’espère, appartient certainement au passé.
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