Par Nephabbe
Avertissement: troubles du comportement alimentaire, auto-destruction, troubles mentaux.
« La culture Tumblr est le premier mouvement culturel de la gen Z. C’était un collage d’une galaxie de goûts qui étaient considérés comme alternatifs entre 2010 et 2016. Cela pouvait regrouper les livres de John Green, le film de Stephen Chbosky, Le Monde de Charlie, des artistes comme Lana Del Rey et Lorde, ou encore les magasins Urban Outfitters. »1
Tumblr est une application et un site internet de microblogging créé en 2007. Connue dès sa création aux États-Unis, elle s’étend en France et connaît son essor de 2011 à 2014. À son apogée, l’application héberge des millions d’utilisateurs qui bloguent et re-bloguent de nombreux articles et photos de genres différents. Parmi ces genres, naît l’esthétique que l’on connaît aujourd’hui comme intrinsèque à l’application. À travers un univers soft-grunge, ce sont des dizaines d’artistes, de livres ou de films qui connaissent un succès grâce à Tumblr. Arctic Monkeys, Lana Del Rey, Marina and the Diamonds, nombreux∙ses sont les artistes promu∙e∙s par la sous-culture qui trouve son berceau dans l’application. L’antonomase du terme « Tumblr » permet alors la description d’une toute nouvelle esthétique qui émerge chez les adolescents. Néanmoins, c’est dans le développement de cette sous-culture alternative que croît une “romantisation” des troubles mentaux. En effet, la volonté esthétique des jeunes s’accompagne souvent d’une banalisation de la maigreur, la démocratisation des TCA et d’actions auto-destructrices (auto-mutilation en particulier). On désigne alors par « Tumblr culture » la jeunesse qui, par l’intermédiaire de l’application se réfugie dans un monde virtuel et s’enferme dans un environnement dichotomiquement nocif et libérateur. Mais en quoi la « Tumblr culture » porte-t-elle en son sein les traits caractéristiques d’une génération et en particulier ses vices ?
Tout d’abord, il s’agit de rappeler le double enjeu de Tumblr, qui permet à la fois de créer du contenu sur son propre blog, tout en consommant le contenu proposé par d’autres usager∙es et de les intégrer à son blog via le re-blogging. Celle∙eux qui utilisent la plateforme participent alors au développement et à l’installation de la « Tumblr culture ». C’est à travers son caractère communautaire que Tumblr instaure une certaine sous-culture numérique, dans laquelle les individus partagent cette esthétique, empreints d’un sentiment d’appartenance à un groupe presque microcosmique. Cette communauté numérique qui se développe s’apparente alors à une sous-culture alternative, qui se développe grâce à l’application et tend à la dépasser.
« Les sous-cultures sont des groupes de personnes qui sont représentés, ou qui se représentent eux-mêmes, comme distincts des valeurs sociales normatives dominantes, à travers leurs pratiques et leurs intérêts particuliers, à travers ce qu’ils sont, ce qu’ils font et où ils le font. »2
On comprend alors l’enjeu que représentent les sous-cultures pour les jeunes, dans un moment si instable et constructif qu’est l’adolescence. Par la proclamation d’une esthétique alternative ou indie (indépendante), Tumblr porte avec elle des codes précis qui permettent la reconnaissance des utilisateur∙ices. C’est dans ces caractéristiques que repose le problème majeur de la « Tumblr culture ».
En effet, à travers les éléments publiés et re-blogués sur Tumblr, nous remarquons certains comportements auto-destructeurs et plus généralement dangereux. Notons d’abord que les phénomènes dont nous allons traiter représentent une grande partie du site internet, associés à cette « Tumblr culture » mais ne sont pas les uniques du site internet.
Parmi les éléments intrinsèques à la « Tumblr culture » se trouvent notamment la banalisation voire l’incitation à l’extrême maigreur et aux troubles du comportement alimentaires. C’est un réel culte de la maigreur qui reflète des idéaux corporels des utilisateur∙ices. Cette idéalisation s’accompagne fréquemment de substances addictives, notamment influencées par la série britannique Skins et le personnage principal de la seconde génération : Effy Stonem. Cette dernière, adolescente aux yeux bleus noircis au crayon khôl est une représentation fidèle de ce qu’on nommera la « tumblr girl », qui nourrit l’esthétique et les influences nocives dont nous avons traitées ci-dessus. Mais les blogs ne s’arrêtent pas ici et n’hésitent pas à montrer et implicitement à inciter les jeunes à l’auto-mutilation, bercés par un sentiment d’exclusion sociale qui les replient vers ce microcosme virtuel.
Précisément, cette instrumentalisation des troubles mentaux dans une visée esthétique représente le danger de cette sous-culture. Rappelons d’abord que Tumblr n’a pas connu le même essor en France qu’aux États-Unis. Ainsi, les adolescents français qui y accèdent ne sont qu’en minorité, et en ont pour la majorité entendu parler via d’autres réseaux sociaux. En France, les utilisateur∙ices de Tumblr sont alors des jeunes familiarisé∙e∙s a priori aux réseaux sociaux et sont alors plus enclin au repliement vers ces derniers. Par la diffusion de contenus auto-destructeurs, le spectateur, reclus, se réfugie dans cette sous-culture, y trouvant confort dans l’auto-identification à ces personnes qui lui ressemblent et risquent de sombrer vers des comportements dangereux. Qui plus est, on relève que les posts qui montrent de tels comportements s’accompagnent d’une abondante “romantisation”. Dans cette mesure, montrer à des adolescents de tels contenus peut les inciter à suivre ce mouvement, ou à l’amplifier pour celle∙eux qui sont déjà concerné∙es.
En bref, nous avons vu les enjeux d’une esthétique caractéristique des années 2010 chez les adolescents occidentaux. À travers son style soft-punk et indie, la « Tumblr Culture » est porteuse d’une génération troublée et troublante qui a basé ses références culturelles et sa vision du monde sur des artistes aujourd’hui cultes. Toutes les icônes de l’adolescence de certains d’entre nous trouvent leur berceau dans la « Tumblr Culture », et avec eux les séquelles psychologiques et émotionnelles laissées par la “romantisation” des troubles mentaux.
Nous observons, notamment à travers l’application Tiktok, un certain retour de ces traits caractéristiques de la sous-culture Tumblr, ce à quoi la vidéaste et rédactrice Clara Defaux à su identifier la source.
« L’esprit Tumblr des années 2010 prônait en partie une forme de nihilisme et d’individualisme qui résonnent avec la situation de crise économique, climatique, sanitaire et sociale actuelle. La pandémie dure depuis deux ans maintenant, et les jeunes peuvent ressentir une forme d’usure et de fatigue spécifiques. Car on les a privés de nombreuses formes de sociabilité (les cours en présentiel, les sorties, les concerts, les festivals, le clubbing, etc.), on leur a demandé beaucoup d’efforts, tout en les culpabilisant presque comme principaux responsables de la contamination de leurs parents et grands-parents. Or maintenant on est en 2022, et il n’y a jamais eu autant de contaminations qu’aujourd’hui. »3
1Comment Tumblr a forgé une génération (créativité, adolescence et troubles mentaux), Clara Defaux
2Sous-culture: Le sens du style, Dick Hebdige (1979) Éditions Zones
3Comment Tumblr a forgé une génération (créativité, adolescence et troubles mentaux), Clara Defaux
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