Superior Iron Man : un grand pouvoir, aucune responsabilité

Par Théo Toussaint

Derrière la volonté de transformer la ville de San Francisco en utopie idyllique, le milliardaire Tony Stark cherche à assouvir sa domination grâce à une nouvelle arme : les biais addictifs des réseaux sociaux.

La littérature académique montre que l’utilisation des réseaux sociaux numériques visuels peut déclencher ou renforcer des troubles de l’image de soi et exacerber un mal-être expliquent les chercheuses Laurie Balbo, Aurély Lao et Sandra Camus dans l’article Vers un encadrement généralisé des filtres de beauté sur les réseaux sociaux ? publié sur The Conversation. Que se passerait-il si un être mal intentionné usait des anxiétés liées au rapport à soi pour asseoir son pouvoir ? Comment jouer sur les complexes pour transformer la frustration en un business addictif pour les consommateurs ? 

Tel est le postulat de Superior Iron Man: Odieusement supérieur, scénarisé par Tom Taylor, également auteur de la saga dystopique Injustice pour DC Comics. Si Iron Man s’approche parfois de la figure de l’anti-héros, les lecteurs ont déjà été confrontés aux facettes moralement ambiguës de la personnalité de Tony Stark, l’homme sous l’armure. Le Diable en bouteille de Bob Layton et David Michelinie explore la dépendance à l’alcool du protagoniste, Civil War de Mark Millar démontre ses dérives autoritaires.

Les yeux bleus, le regard machiavélique

Tom Taylor propose d’aller encore plus loin et présente une version radicale du personnage. Corrompu par un maléfice de la Sorcière Rouge, celui-ci succombe à ses vils instincts. Arrivé à San Francisco pour développer les activités de son entreprise, le milliardaire installe son quartier général dans l’ancienne prison d’Alcatraz, reconvertie en building futuriste. Dès les premières pages du récit, Tony Stark active son plan. Grâce à la technologie Extremis 3.0, il lance une application mobile qui offre la possibilité de parfaire son corps et son image. Devenir jeune, beau et musclé instantanément, le logiciel transpose les filtres esthétiques des réseaux sociaux dans la réalité. 

Cependant, ce don miraculeux recèle un paramètre secret : après une période d’essai gratuite, Extremis 3.0 requiert un abonnement quotidien pour continuer à fonctionner. Les usagers doivent alors payer une somme prohibitive pour bénéficier de leurs nouveaux attributs. Iron Man maintient ainsi la population de San Franscico sous son emprise, en développant une addiction pour les utilisateurs. Ces manigances exacerbent les inégalités entre les plus fortunés qui peuvent s’offrir les services de l’application, et les plus précaires. La criminalité augmente drastiquement : les vols pour récupérer de l’argent afin d’alimenter Extremis 3.0 deviennent plus fréquents, les violences et discriminations systémiques envers les personnes non-transformées se multiplient. Pour pallier cette problématique, le milliardaire institue un système de surveillance global : Iron Eye, un réseau de drones utilisant la reconnaissance faciale et les informations collectées sur Internet. Comme l’indique Tony Stark : “Quand vous avez téléchargé l’appli gratuite Extremis, vos données personnelles ont été transmises aux fichiers de l’Iron Eye. Il connaît donc vos habitudes en ligne, vos déplacements, les endroits et les individus que vous fréquentez.

Contre ces desseins de contrôle de la population, Daredevil décide d’enquêter pour mettre un terme aux agissements liberticides d’Iron Man. Le récit, très actuel dans sa première partie, permet d’établir une critique pertinente des systèmes consuméristes sur les réseaux sociaux et de la surveillance de masse. Malheureusement, les chapitres suivants délaissent ces enjeux pour se consacrer aux tentatives de guérison opérées par les proches de Tony Stark pour lui faire recouvrir sa personnalité initiale. L’histoire perd rapidement en intensité et laisse place à une succession de dialogues d’exposition et de combats peu inspirés. Ce traitement inégal de l’intrigue est assez fréquent dans le travail du scénariste Tom Taylor : si l’auteur réussit à innover grâce ses concepts originaux et atypiques, celui-ci peine à développer ses récits au-delà du synopsis global.

Bleu Twitter, bleu Facebook… Bleu roi

Superior Iron Man: Odieusement supérieur ne va pas au bout de son propos. Si l’introduction expose une série de nouveautés bienvenues : nouvelle armure chromée et bleutée, nouvelle ville, nouveaux enjeux, nouvelles relations entre les personnages de la mythologie de Marvel… La deuxième partie du comics peine à se renouveler et s’enlise dans une lutte manichéenne plutôt habituelle. D’un point de vue graphique, les illustrations de Yildiray Cinar, Laura Braga et Felipe Watanabe offrent un rendu assez inégal. La direction artistique générale semble assez convenue. Les expressions gestuelles et faciales des protagonistes sont trop rigides, les visages peuvent paraître figés. Le découpage des scènes et de l’action, parfois trop abrupte, peut également nuire à la compréhension et la lisibilité des séquences.

Si le comics laisse en suspens son pamphlet critique autour des thématiques liées au numérique, ces sujets doivent pourtant être traités convenablement pour sensibiliser les utilisateurs à travers une pratique pédagogique. À contrario, cette démarche est pleinement abordée par le roman graphique Ni Web ni master, écrit et dessiné par David Snug, qui propose une analyse plus poussée des nouvelles technologies d’information et de communication. Ce récit, défini comme une techno-critique, prend appui sur plusieurs dizaines de documents de recherche universitaires et ouvrages militants contre les dérives économiques et sociales sur Internet. L’auteur se scinde en deux personnages principaux, lui et une version rajeunie ayant voyagé dans le futur depuis 1989. Grâce à ce dédoublement, celui-ci peut expliquer les évolutions technologiques depuis la fin du XXe siècle et l’impact actuel sur la dépendance aux grandes entreprises du numérique. L’oeuvre, empreint d’ironie, dénonce les problématiques liées à l’exploitation des minerais rares dans la fabrication des appareils électroniques, les conditions d’emploi des travailleurs migrants au profit des sociétés de services en ligne et de la disparition des plateformes en peer-to-peer face à l’apparition du streaming payant par abonnement.

La postface de Ni Web ni master, rédigée par Cédric Blagini, propose une ouverture aux thématiques portées par Superior Iron Man: Odieusement supérieur : “[…] L’ère de l’individu tyran, [c’est] celle d’un nouveau type de personnalités, narcissiques, obsédées par leur subjectivité et intolérantes à toute forme de limites. […] L’humain est faible, et les industriels du numérique savent comment le manipuler. L’univers qu’ils ont créé regorge de micro-récompenses. […] Seule la recherche de ces micro-récompenses devient source d’un sentiment de plaisir, même s’il est très éphémère, qu’il génère des formes d’isolement, et qu’il empêche de se construire intérieurement et de s’épanouir socialement.

Superior Iron Man: Odieusement supérieur invite à porter un regard critique mais incomplet face à l’hypernarcissisme sur les réseaux sociaux. Des œuvres plus indépendantes, comme Ni Web ni master, permettent de réellement compléter cette analyse.

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