Le héros, scanné à l’ultraviolet : « Hawkeye : Ma vie est une arme. »

par Théo Toussaint

Dorénavant érigé comme figure incontournable du panthéon Marvel, Hawkeye fut pourtant délaissé pendant de nombreuses années.

Porté à l’écran dans le blockbuster Avengers, Clint Barton, alias Hawkeye, s’est enfin révélé, sortant ainsi le super-héros de l’indifférence générale qui régnait à son égard. Le grand public est désormais familier du personnage, grâce à son adaptation cinématographique et sérielle au sein du Marvel Cinematic Universe. Pourtant, le protagoniste ne dispose pas de récit marquant, à contrario de Green Arrow, l’archer concurrent de DC Comics, qui fût mis à l’honneur aux côtés de Green Lantern dans les récits écrits par Dennis O’Neil dans les années 80. Depuis sa création en 1964 par Stan Lee, Hawkeye fut relégué au rang d’antagoniste à héros repenti, toujours dans l’ombre des justiciers plus bankables, à l’instar d’Iron Man ou des 4 Fantastiques. 

Si le personnage a été remanié à plusieurs reprises afin de relancer son intérêt auprès du grand public, ses capacités furent également modifiées. Il prend ainsi un temps l’alias de Goliath en usant des pouvoirs d’Ant Man, ou celui de Ronin, un anti-héros violent. 

En quête d’identité

Malgré ces tentatives pour réinventer ce pilier fondateur des Avengers, les changements de statut ont échoué à améliorer l’image de marque du personnage. Hawkeye souffre de la comparaison avec ses homologues sans pouvoir, mais n’impose aucune originalité ni de stature particulière quant à sa condition. Comme l’indique Philippe Morel, enseignant en marketing/communication, dans son ouvrage Pratique des relations presse : “[L’image de marque] se bâtit plutôt a posteriori, lorsque le produit est sur le marché depuis suffisamment longtemps pour qu’une partie du public concerné ait pu se faire une opinion. […] Le produit porte [un contexte d’influence] : la marque, réputée pour sa compétence, sert de référence ; la marque se distingue de la concurrence par son statut d’expert ; la marque a réponse à tout par sa « science » ; la marque est garante de certaines valeurs.”

Au fil des décennies et des choix éditoriaux, les lecteurs ont appris à associer des traits de caractères à certains protagonistes, qui ont ensuite orienté les auteurs dans la narration. Si Iron Man est régulièrement dépeint comme quelqu’un d’égocentrique, Captain America est identifié comme un soldat faisant preuve d’abnégation. Oeil-de-Faucon, quant à lui, ne dispose d’aucune caractéristique pouvant le sortir de son relatif anonymat. C’est pourtant cet aspect particulier du personnage, méconnu et vulnérable, qui participe à l’orientation principale du récit de l’auteur Matt Fraction et du dessinateur David Aja. Dans Hawkeye : Ma vie est une arme, le héros est présenté sous son aspect le plus modeste, quasiment quidam dans le grand univers Marvel. Le scénariste inverse les échelles et propose une histoire centrée sur individualité du protagoniste, et son besoin d’appliquer la justice, même dans sa sphère privée. 

Dès le début de l’intrigue, Hawkeye s’efface au profit de Clint Barton, grièvement blessé au cours d’un affrontement avec les Avengers. Celui-ci se retrouve livré à lui-même dans New York après un long séjour à l’hôpital. Il découvre avec stupeur que l’immeuble vétuste dans lequel il séjournait est sous le joug d’un gang mafieux. Les “frérots” dirigés par Ivan tyrannisent les habitants et augmentent drastiquement les loyers afin de déloger les occupants pour revendre le bâtiment bien plus cher. Cette intrigue s’imbrique dans un ensemble d’histoires indépendantes, qui poursuit l’exploration du personnage, en l’associant à l’autre Hawkeye, Kate Bishop, également archère auprès des Young Avengers. Le duo se retrouve opposé aux membres de la pègre en devenant garants de la protection des populations modestes de New York.

La Pourpre et le Noir

L’ouvrage de Matt Fraction offre une multitude de situations dans lesquelles Hawkeye met à contribution son héroïsme à travers une série non-filée de petites histoires. Le caractère épisodique permet de confronter les justiciers à différents événements, par le biais d’enquêtes qui les mènent à combattre des malfrats membres d’un cirque itinérant, ou des barons internationaux du crime organisé. Chaque scénario invite à approfondir une thématique propre aux personnages. L’appartenance des deux Hawkeye à des classes sociales diamétralement opposées est évoquée : Kate Bishop étant issue de la bourgeoisie, face à Clint Barton, élevé au sein d’une communauté foraine. Les défauts des protagonistes, exacerbés à travers les récits, facilitent l’identification et donnent une vision iconoclaste des super-héros.

La force majeure de Hawkeye : Ma vie est une arme repose sur la direction artistique du dessinateur espagnol David Aja, qui opte pour une esthétique éloignée des conventions graphiques du comic book. Le trait stylisé pioche parfois des inspirations dans la ligne claire franco-belge, notamment dans le contour noir très marqué pour structurer les silhouettes des personnages, allié aux aplats de couleurs vifs et sans contraste pour figurer l’environnement. La composition des pages innove également pour une lecture dynamique, l’artiste découpe l’action pour créer des séquences inspirées du storyboarding, où les gestes sont accentués pour ralentir le rythme le temps de quelques cases. C’est par exemple le cas lorsque Oeil-de-faucon se concentre avant de décocher une flèche : à partir du mouvement pour bander l’arc, l’auteur étire la scène comme pour figer l’instant, en jouant entre les cases sur la répétition des plans. Certaines idées extra-diégétiques viennent également renforcer cet aspect “slow motion” en allongeant artificiellement les typographies au milieu d’un dialogue. Cette synergie entre le texte et le visuel permet de transposer sur papier une forme de dilatation du temps.

David Aja tente de nouvelles approches artistiques, en incorporant des éléments de schémas et plans de coupe en flat design en utilisant ce gimmick comme une projection mentale des personnages. Il réalise aussi des planches entières composées de plans d’insert : chaque micro-détail est représenté dans la scène pour accentuer le rythme effréné du récit. L’œuvre est également illustrée par Javier Pulido qui reprend un tout autre style visuel pour la mini-série La cassette. L’illustrateur du run propose aussi un dessin à la ligne claire, plus épurée et conventionnelle qu’Aja, avec un usage des couleurs très marqué, et une esthétique proche du rendu de la bande-dessinée franco-belge. Si La cassette manque d’inventivité visuelle, la composition globale dessert une lecture fluide et dynamique au service d’un récit riche en péripéties.

Hawkeye : Ma vie est une arme permet d’appréhender le super-héros sous un angle plus humain et proche du lecteur. L’approche intimiste liée à la réalisation surréaliste offre une parfaite synthèse pour découvrir l’archer de Marvel Comics.

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