par Bras Cubas
Elle la regarde encore,
Cette tombe coulante
À l’apparence de rivière :
Al Pouessi veille encore
Pour les âmes nageantes
Couchées en chaînes
Au fond de la Garonne.
Sous ses yeux pétrifiés sur l’horizon,
Se baladent dormants et souriants
Les aveugles ; les sourds ; les muets.
Pour Al Pouessi et les cent cinquante
Mille esclaves noyés sous la Garonne,
Ces passants s’appelaient les “Maîtres”.
Mais entre eux – les aveugles, sourds et muets – ils s’appellent autrement :
Entre eux, ils s’appellent les “Bordelais”.
À la Bibliothèque Mériadeck,
Il existe un espace vert,
Tout un étage exclusif
Dédié aux “Bordelais”.
Avez-vous déjà bu leur rouge,
Leur teint et leur blanc
Dans leurs tasses transparentes
Pleines du plus cherché des chers
Du plus savoureux des vins ?
Saviez-vous que les Bordelaises
Ne sont jamais habillées à jour
Car ce sont elles qui déclenchent les tendances
Et les tissus du fil de soie de la mode ?
Si jamais vous venez faire une visite,
N’oubliez pas de vous rendre
À la Place de la Bourse
Et de vous-voir et de vous plonger
Sur leur merveilleux Miroir !
Mais attention…
… Ne baissez pas votre garde ;
Ne laissez pas votre regard vous voir
Sur le reflet de l’eau…
Et faites encore plus attention,
Ô Passant, pour ne pas commettre l’erreur
De ne pas passer assez loin d’Elle !
Ah oui ! Elle…
Cette Dame déchaînée
Au regard pétrifié.
Soyez vigilant pour ne pas tomber vos yeux
Sur la même tombe à laquelle veillent
Ceux de la Dame.
Faites-moi confiance, Ô Passant,
Vous ne voulez pas voir ce que voient
Les yeux d’Al Pouessi :
Vous ne voulez pas voir les monnaies d’or
Et les chaînes d’argent qui traînent encore
Leur sang sous la Garonne.
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