La mort de l’âge d’argent : Les derniers jours de Superman

par Théo Toussaint

Rédigé comme une conclusion aux aventures de l’homme d’acier d’une période révolue, les récits d’Alan Moore confrontent l’icône super-héroïque à ses angoisses profondes.

Au cours des années 80, les séries publiées par Marvel Comics connaissent une popularité exponentielle. Le grand public estime que la maison d’édition propose une formule narrative, résolument moderne, avec des héros contemporains facilement identifiables. À contrario, son concurrent DC Comics est considéré comme ringard et difficile d’accès pour les néophytes, du fait de ses nombreuses histoires éclatées au sein d’un multivers complexe à appréhender.

Pendant cette même période, les bandes-dessinées américaines entament une profonde mutation initiée par leurs auteurs : l’âge d’argent, caractérisé par son style candide et simpliste insufflé par l’organisme de censure du Comics Code Authority, disparaît pour laisser place à l’âge de bronze. Ce nouveau traitement éditorial prend son essor et vise un public mature avec des œuvres devenues classiques, comme Watchmen ou The Dark Knight Returns.

Le comité rédactionnel de DC Comics saisit alors l’opportunité d’amorcer une refonte complète de son univers, en y intégrant une dimension plus profonde et contemporaine, tout en décrétant la fin de son multivers. Le grand crossover-événement Crisis on Infinite Earths vient surprendre les lecteurs lorsqu’une menace inconnue détruit l’ensemble des mondes parallèles. Les héros de l’âge d’argent sont expulsés de la continuité principale de l’univers DC, tandis que les personnages principaux développent une amnésie générale. Cette conclusion relativement inattendue permet d’initier de nouvelles trames narratives et de réactualiser les protagonistes à travers un soft reboot. The Man of Steel, le récit modernisé des aventures de Superman par John Byrne s’inscrit dans une réécriture renouvelée qui fait table rase de l’ancienne mythologie pour proposer une approche plus réaliste. Il est également décidé de clore officiellement l’ère d’argent du super-héros avec une dernière histoire alternative scénarisée par Alan Moore.

Du déclin d’argent à l’aube du mordoré

Les derniers jours de Superman réédité en France par Urban Comics propose trois aventures indépendantes issues de plusieurs équipes créatives, dont l’auteur Alan Moore supervise l’ensemble de l’écriture. Chaque récit explore une facette psychologique de l’homme d’acier, en décrivant ses réactions face à la mort ou ses rêves enfouis. Ainsi, dans la nouvelle Pour celui qui avait déjà tout, le lecteur devient témoin des regrets du protagoniste de n’avoir jamais vécu une simple existence kryptonienne, bien éloignée de ses lourdes responsabilités super-héroïques. Le jour de son anniversaire, alors que Batman, Wonder Woman et Robin sont conviés dans le repaire de Superman, ils retrouvent celui-ci dans un état léthargique, subi par une créature organique qui l’enferme dans une prison mentale. L’homme d’acier est plongé dans une réalité alternative où sa planète est intacte et son peuple sauf. Kal-El exprime une allégresse inédite, comblé d’avoir retrouvé ses proches. Mais Krypton se révèle être une dystopie gangrénée par une montée au pouvoir du fascisme. Le récit dessiné par Dave Gibbons initie des réflexions explorées dans l’ouvrage Watchmen, en confrontant les héros à l’extrémisme politique.

La deuxième histoire, Aux frontières de la jungle, oppose le justicier invincible à une mort vouée par un parasite extra-terrestre qui le trouble dans une succession d’hallucinations. Le personnage est sauvé in-extremis par la créature des marais, Swamp Thing. Cette rencontre inattendue permet de développer un propos sur le rapport à la nature et la vacuité de l’existence. Rick Veitch met en scène un récit onirique. Le dessinateur propose une emphase sur la folie dévorante de Superman, par une mise en case concentrée autour du visage de celui-ci, qui tombe en décrépitude au fil de la nouvelle.

“J’ai pris ma décision. Je l’ai tué.”

En tant que dernier chapitre, le récit éponyme Les derniers jours de Superman dévoile une intrigue spectaculaire dessinée par Curt Swan. Le scénario témoigne de la fin du héros, par la narration indirecte de Loïs Lane, qui rend hommage au défunt au cours d’un entretien journalistique. Superman doit lutter contre l’ensemble de la galerie d’antagonistes qui composent sa mythologie, à travers plusieurs duels au cours desquels le personnage perd de nombreux proches. Chaque confrontation vient ébranler ses convictions personnelles, le symbole d’espoir inhérent à l’homme d’acier se heurte à son isolement progressif. 

Alan Moore présente ainsi une vision du justicier hautement humanisée, aux prises avec sa moralité et ses aspirations. La mise en scène prend soin d’illustrer le dépassement physique et mental du protagoniste, tout en révélant une sensibilité jamais explorée dans la littérature super-héroïque. Alors que l’auteur dépeint un être empreint de bienveillance et de compassion, il submerge ses émotions en le noyant dans un désespoir manifeste. Superman fait face à un destin funeste et inévitable, qu’il tente de conjurer tout au long de l’œuvre. Les références graphiques prennent directement appui sur l’âge argent, en reprenant des vieux designs iconiques des décennies précédentes. À contre-courant de ses thématiques matures, le comics propose une contradiction avec son esthétique désuète et bariolée.

Bien loin du mythe de l’âge d’or et précurseur des narrations contemporaines, Les derniers jours de Superman déconstruit les représentations du super-héros pour le caractériser sous un angle inédit.

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