Une brève histoire du rose

par Dani

En 2018, des scientifiques découvrirent que le rose vif était la plus ancienne couleur à notre connaissance produite par un organisme vivant. Des fossiles de cyanobactéries préservés dans les roches du désert saharien, et datant de plus d’un milliard d’années concentraient des pigments rose, fossiles moléculaires d’une chlorophylle produite par d’anciens organismes photosynthétiques vivant dans des océans depuis bien longtemps asséchés. Encore aujourd’hui, le rose continue de nous surprendre, de nous émouvoir et de nous interroger. Retour sur les considérations modernes de cette couleur symbolique et controversée.

Symbole de luxe et d’élégance tant pour les hommes que pour les femmes dès le milieu du 17e siècle, le rose poudré n’était à l’époque pas encore affublé du sobriquet de “couleur de fille”. Dès leur plus jeune âge, les enfants, quel que soit leur genre, étaient généralement vêtus de blanc, plus simple à nettoyer. Le rose, néanmoins, était considéré comme une couleur plus appropriée pour les garçons en tant que teinte claire dérivée du rouge, portant en son cœur des sous-entendus virils et militaires, voire agressifs.

Il fallut attendre le milieu du 19e siècle pour que le rose commence à devenir un symbole de délicatesse et de féminité. Il attrapa, dans ces années-là, une connotation érotique, rappelant la couleur chair des femmes au teint pâle, et devint le favori des boutiques de dentelles, corsets et lingeries fines. L’industrialisation de la mode conduisit immanquablement à la popularisation de teintes inspirées telles que le magenta, le fuchsia et autres coloris alors considérés comme « cheap » ou bon marché. En l’espace d’à peine deux siècles, le rose avait dégringolé des plus hautes sphères de la noblesse occidentale à la classe ouvrière, jusqu’à être considéré comme vulgaire car fréquemment porté par les prostituées.

Un bond jusque dans les années 1950 nous amène au rose tel que nous le connaissons majoritairement aujourd’hui, symbole à la fois d’un point de vue hétéronormatif et de luttes plurielles. Le marketing post-seconde guerre mondiale, notamment aux États-Unis, l’imposa comme symbole d’hyperféminité, jusqu’à insuffler au monde prétendument moderne le fameux “rose pour les filles, bleu pour les garçons”, alors que quelques décennies auparavant, la tendance était inversée. Les Barbie et princesses Disney affublées de rose bonbon fleurirent sur le marché en laissant sur leur passage un goût amer de stéréotype. Pour autant, son retour en force dans le milieu de la haute couture dès l’aube du 20e siècle, permit au rose de regagner une certaine notoriété. Par le biais de Jackie Kennedy et Marilyn Monroe, il redevint un symbole de luxe et d’élégance. Des groupes punk tels que The Ramones et The Clash redonnèrent à cette couleur longtemps timide, des allures audacieuses. Plus récemment, les cultures pop et hip-hop et leurs célébrités de renommée internationale l’ont aussi replacée sur le devant de la scène. Pour autant, les sondages réalisés auprès de plusieurs classes de population européennes et américaines placent le rose parmi les couleurs les moins appréciées de toute la gamme. Les stéréotypes éducatifs et sociétaux longtemps insufflés aux jeunes garçons, toutes classes sociales confondues, semblent faire perdurer aujourd’hui encore un certain malaise. Le rose porte en lui une forme de sous-entendu, qui dépasse son statut de simple couleur. Si la haute couture, et notamment les fameux polos rose Ralph Lauren, permettent de faire adopter à bien des hommes une couleur à laquelle ils ne daignaient plus toucher depuis longtemps, sa connotation efféminée n’a pas totalement disparu – loin de là.

Tantôt symbole de répression, de protestation ou d’émancipation, le rose demeure une couleur controversée. Le triangle rose pointant vers le bas qui symbolisait la détention concentrationnaire des hommes accusés de pratiques homosexuelles dans l’Allemagne nazie devint, au beau milieu des années 1970, un symbole de lutte et de ralliement pour les mouvements d’émancipation LGBTQ+. En 1987, le logo de la marche sur Washington pour les droits lesbiens et homosexuels représentait le Capitole des États-Unis devant un triangle de couleur rose pointant lui aussi vers le bas. Côté militantisme, l’association ACT UP, originaire de New-York et fondée la même année, adopte comme symbole un triangle rose – pointant vers le haut, cette fois – sur fond noir, accolé au slogan “Silence = mort”. 

À l’aube du 21e siècle, le rose perdure en tant que couleur symbolique des luttes, notamment féminines. En Inde, le Gulabi Gang, un groupe militant formé dès 2002 et œuvrant pour la lutte contre les violences faites aux femmes, puise courage et inspiration dans le port de saris rose, qui symbolisent à la fois leur féminité et leur force, et qui ne les empêchent en aucune manière de s’armer de bâtons pour se défendre. En ce sens, le rose est devenu une couleur de femme plus que de petite fille, un progrès notable à une époque où les stéréotypes que l’on brise tentent toujours de se remettre en travers de nos chemins. Plus récemment, lors de la Marche des femmes sur Washington en 2017, le rose gagne une fois de plus du terrain côté militantisme grâce aux milliers de « pussyhats » ornant les têtes des participantes. 

Chaque année depuis 1991, les rubans roses s’accrochent sur les vestes, sacs à dos et cravates des dames et des messieurs à travers le monde entier. Symbole de la lutte contre le cancer du sein et du soutien aux personnes touchées depuis qu’Evelyn Lauder lui a donné sa couleur rose caractéristique, le ruban n’a pas toujours été rose.

Il devint symbole d’un combat en 1979, lorsque l’américaine Penney Laingen décida de suspendre aux branches des arbres de son jardin des rubans jaunes pour demander la libération de son mari, otage en Iran, et sensibiliser ses concitoyens à cette cause. Dans les années 1990, il fut teinté de rouge vif, couleur de la passion et du sang, pour symboliser la lutte contre le VIH. En parallèle, aux États-Unis, Charlotte Hayley entamait une démarche militante pour sensibiliser l’opinion et les électeurs à la recherche contre le cancer au moyen de rubans couleur pêche.

C’est ainsi que, malgré des siècles de controverse, et de toutes les couleurs qui auraient pu être choisies pour symboliser une lutte majoritairement – mais pas que – féminine, c’est bien le rose, couleur la plus ancienne de la vie sur terre qui, tous les ans, fleurit au mois d’octobre.


Sources : 

Henriques-Gomes, Luke. “Scientists discover world’s oldest color – bright pink”, The Guardian. 9 juillet 2018.

Steele, Valerie. Pink: The History of a Punk, Pretty, Powerful Color, 2018.

Paoletti, Jo. Pink and Blue: Telling the Girls from the Boys in America, 2012.  

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