Article rédigé par Noémie Sulpin
Plus d’ami, plus de frère, plus de parent, plus d’amant, plus de lien tangible. […] Le monde entier ne croyait plus en lui-même… Plus en rien.
Faut-il le chaos pour que revienne le soleil ? Quelle autre transition vers une vie bordée de nature et d’harmonie que la défaite et l’effondrement ? À vouloir toujours mieux, les hommes du livre que je vous présente aujourd’hui ont été remplacés et manipulés par les machines : ordinateurs, algorithmes, IA… Toutes semblent devenues plus intelligentes que l’homme, lui-même abruti par les réseaux sociaux et alourdi par leurs illusions de connaissances et de contrôle. Un appétit gargantuesque de l’innovation qui allait bien au-delà de l’entendement et du moralement correct.
Li-CAM, autrice et éditrice, tente de nous exposer ses craintes pour l’avenir dans sa nouvelle, Résolution, parue aux éditions La Volte en 2019. On suit le cheminement de Wen, blogueuse à succès et créatrice d’un monde utopiste, au sein d’une thèse publique appelée “Le monde selon Wen” sur un forum. Elle évolue dans une parenthèse hors du temps et des tumultes humanoïdes (homme x machine) qui se déroulent loin des horizons de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la société expérimentale d’Adelphie.
Une nouvelle qui répond aux principes même du Solar Punk : une vie collective, juste, et écologique, dans laquelle tout individu est libre d’être qui iel souhaite.
La population de l’Adelphie choisit de vivre en harmonie partageant des valeurs de solidarité, de partage et d’équité. Elle rejoint, sur l’abandon des classes sociales, les théories marxistes, et vit dans une gestion idéale des ressources et des idées, débarrassée de la lutte des classes et des dominations de l’homme sur l’homme. Ces citoyen.ne.s vivent en connexion avec la nature qui les entoure et qui les nourrit dans ce système autogéré. C’est également une communauté qui appuie sur le lien humain, se détachant des liens technologiques et numériques qui ont le monopole dans les pays de la Concorde et l’Europe des neufs, ces lieux où l’autoritarisme a gagné la bataille.
Est-ce vraiment le futur ?
Exister autrement ? Je ne sais pas. J’ai l’impression que vous avez toujours été ainsi. Je concède que ça s’est aggravé ces dernières décennies. Tout ce que je veux dire, c’est qu’il est grand temps d’élargir vos préoccupations à la planète tout entière.
L’autrice dépeint dans ce texte court un monde arrivé à bout de force, dans lequel les ressources viennent à manquer et où l’homme échappe au désastre de son quotidien dans des cybermondes et des multivers. Le langage perd de son utilité, usé par les fake news et l’incitation à la haine. Là-bas, plus de lois ou de règles ! Une guerre de l’information règne. L’humanité semble alors perdue, engagée dans une course matérialiste et superficielle. La technologie rejoint les forces du mal et ne dessert désormais plus que de mauvais desseins.
Il est une idée commune entre les œuvres Solar Punk étudiées pour ce numéro, celle de faire table rase du système dans lequel nous évoluons, où la loi du plus fort prédomine. L’anéantissement de cet engrenage semble ne pouvoir se faire que par un mouvement dévastateur, horrifique et sans issue, souhaité ou non.
En juillet 2022, 45 % des jeunes se disaient éco-anxieux1, alertés par les perturbations écologiques de plus en plus fréquentes et ravageuses. Le futur semble alors hors de portée, de plus en plus compliqué à imaginer. Les scénarios alarmants rapportés par le GIEC, les hectares de forêts qui s’essoufflent sous les flammes, les inondations aux quatre coins du monde font désormais partie de notre quotidien. Le scénario catastrophique de la novella devient, sans grande surprise, le plus simple à imaginer : les réseaux sociaux ont abruti les populations, continué de créer un fossé entre riches et pauvres, et le système économique capitaliste a mis à bout de souffle planète et main d’œuvre.
Ils voulaient que le monde se plie à leur volonté et voyaient la planète toute entière comme un immense terrain de jeu […]. Ils étaient des murs, des casernes, des forteresses, de gigantesques tours, de lourds blocs de pierre, des montagnes de granit, les forces d’inertie du système, les poids morts qui pesaient sur notre dos.
Au-delà des dérives du capitalisme décrites par l’autrice, l’usage politique des bots ont facilité la montée des idées fascistes, attisant la haine de l’autre et le rejet. Les canaux d’informations appartiennent aux fauteurs de troubles, et leur propagande a eu les effets escomptés : l’homme est devenu monstre, il s’est perdu et a noyé l’autre. Plus rien ne comptait si ce n’est l’appât du gain et la montée en compétences.
La question se pose : avons-nous fait un bond dans le temps ? Si en 2019, nombreux de ces check-points restent encore à imaginer, en ce début d’année 2023, il semble plus simple de cocher certains d’entre eux. L’histoire se déroule dans un espace-temps inconnu, qu’on imagine comme futuriste, mais sa réalité est floue, suggérant que le futur pourrait être demain.
LI-CAM expose alors les prémices d’une société plus juste, qui contrebalance les souffrances qui prennent à la gorge les civilisations occidentales.
On prend les mêmes et on recommence… La bienveillance en plus.
L’Intelligence artificielle détient une place de choix dans cette société nouvelle. Sun. Évaluatrice des besoins, source d’énergie, confidente à ses heures perdues,etc… Ne représente-t-elle pas, à son tour, cette spiritualité et ces croyances pour lesquelles les civilisations se sont divisées avant l’effondrement ? Tout confier à une machine après le carnage que les précédentes ont causé est-il si révolutionnaire ? Non. Mais on la forme pour la rendre la plus humaine possible. Éduquée par les citoyen.ne.s de la société nouvelle, elle acquiert connaissances et sentiments. On parle notamment de l’empathie, démontrée à plusieurs reprises dans les échanges rapportés avec les personnages de l’histoire, valorisant même jusqu’aux personnages secondaires et leurs parcours divers et variés avant l’effondrement. Tous les profils prennent place dans cet univers apaisé. Cette énergie positive prend soin de la santé mentale de ses résident.es et se préoccupe de leur bien-être. L’acceptation de soi et le développement personnel semblent au cœur des principes de cette société utopique dans laquelle les particularités de chacun.e sont prises en compte et préservées, aux dépens des idées de mon professeur de management économique qui nous demande de fuir l’originalité pour une meilleure gestion d’équipe. Cette égalité est présente jusque dans son nom, “Adelphie”, qui signifie frère et soeur, ne supposant aucun genre aux individus présents dans cette civilisation.
Wen, le personnage principal, a été soignée au LSD durant son enfance. Cette expérience médicale extrême fait d’elle une narratrice atypique qui apporte au récit son amour de l’homme, sa méfiance et ses problèmes d’insociabilité imagés par d’immenses monstres. Si à mon sens, ce choix narratif n’est pas nécessaire au récit, il apporte tout de même un indicateur de l’état dans lequel les rescapé.es de ces mondes à la dérive se retrouvent sur cette île : abîmé.es, isolé.es. Elle doit alors jongler entre sollicitation et préservation pour trouver sa place dans cet habitat et Sun l’aide à s’ouvrir aux autres.
Cette conception de l’intelligence artificielle comme phare guidant les individus à se trouver et à s’accepter est le pendant de certaines créations actuelles qui favorisent l’individualisme, l’uniformité et le clivage. GPT Chat très en vogue ces derniers jours, semble révolutionner la réflexion et l’écriture, mais cette IA n’impose-t-elle pas une barrière supplémentaire dans l’échange entre individus ? Ne favorise-t-elle pas l’isolement des plus jeunes, désormais en capacité de converser avec quelqu’un d’autre que leur camarade de classe ? Qu’arriverait-il si de mauvaises idées venaient prendre le contrôle de ces outils de demain ? Comme les bots qui ont envahi les plateformes d’expression dans cette Eutopie2 et ont servi une idéologie raciste et discriminante. Sans pour autant tout bannir et arrêter, il faut simplement continuer de se souvenir que derrière chaque outil technologique se trouve une main et une idéologie.
Si toute cette société est finalement une reconstruction après le désastre des hommes sur les hommes, ce livre reste plein d’optimisme et d’espoir. Une lecture agréable qui fait reconsidérer nos manières de consommer Internet et ses dérivés et notre rapport aux autres, aux plantes et à soi.
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1Éco-anxiété : une jeunesse face aux angoisses écologiques , article rédigé par Sophian Aubin pour France 24, 29.07.2022
2Eutopie : n.f. néologisme inventé en 1516 par l’écrivain anglais Thomas More dans son ouvrage L’Utopie et qui donne son nom à l’île imaginaire. À la différence d’utopie dont le préfixe privatif u- et le radical topos signifient “le lieu qui n’existe pas”, le lieu de nulle part, le mot eutopie est construit avec le préfixe eu-, qui donne le sens “lieu du bon”, lieu idéal.
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