La lutte pour une utopie Solarpunk : ReSisters

par Théo Toussaint

Le récit choral explore la quête initiatique d’un groupe d’amis sur les traces d’une collectivité d’activistes écoféministes.

Le Solarpunk est un courant issu de la science-fiction qui favorise une vision optimiste du futur, à contrario des œuvres dystopiques empreintes du Cyberpunk. Si le terme s’est popularisé au cours des années 2010, de nombreux récits protéiformes s’inspirent consciemment ou non de l’esthétique et des thématiques du genre : le roman graphique Soon de Thomas Cadène et Benjamin Adam, le long-métrage À la poursuite de demain réalisé par Brad Brid, ou encore le roman Les Furtifs d’Alain Damasio. Pour autant, certaines œuvres de Hayao Miyazaki antérieures à la décennie précédente partagent plusieurs similitudes avec ce courant, à l’instar de Conan, le fils du futur ou Nausicaä de la Vallée du Vent.

Dans sa définition complète, le Solarpunk se caractérise par la volonté de représenter des solutions aux problèmes du XXIe siècle. Celui-ci met en lumière la prospection abusive de la nature par le capitalisme, et propose des systèmes économiques alternatifs mêlés à des concepts d’ingénierie innovants afin de résoudre la crise climatique. Les sociétés fictives dépeintes dévoilent une répartition équitable des biens, des relations saines et respectueuses entre l’humanité et la nature, ainsi qu’entre les personnes. Ce postulat initial peut être associé à d’autres approches politico-sociales : Meltem Dağci, autrice turque spécialisée dans l’étude des genres narratifs, rapproche les concepts du Solarpunk de l’idéologie écoféministe dans un essai publié pour The Science Fiction Research Association. Son article The Relationship Between Solarpunk and Ecofeminism esquisse les liens profonds qui subsistent au sein des récits Solarpunk, dans la volonté de présenter des modèles alternatifs aux conceptions de l’humanité dominée par les hommes et à l’exploitation des femmes et de la nature. Cette relation est brillamment démontrée au sein du roman graphique ReSisters, rédigé par Jeanne Burgart-Goutal, professeure agrégée de philosophie, et illustré par Aurore Chapon.

2030 : 1984 avec du biopunk

L’intrigue de ReSisters propose un récit à plusieurs voix où interviennent différents protagonistes aux prises avec une société totalitaire dystopique enlisée dans une crise climatique aux conséquences dramatiques. La montée des eaux entraîne une crise migratoire sans précédent, alors que la pandémie de Covid-19 mène à un contrôle sanitaire quasi-permanent. Dans cette uchronie dont le point de départ se situe au printemps 2020, le gouvernement contrôle l’information et la surveillance individuelle est généralisée pour endiguer les idéologies alternatives. La population est sommée de se conformer aux directives ministérielles sur de trop nombreux aspects : éducatif, sanitaire, économique…

Dans cette société d’anticipation, Medhi et Lila tentent tant bien que mal d’exercer leurs métiers, respectivement enseignant et animatrice dans un centre socio-culturel, tout en prenant soin de leur enfant, Naëll. Le couple fréquente Parvati, étudiante indienne en droit et serveuse dans un café. Elle entretient une relation avec Pierre, responsable marketing pour l’entreprise d’agroalimentaire Uniboo, dans laquelle travaille Sandy comme personnel de ménage. Ces cinq personnages sont inter-connectés pour offrir une histoire non linéaire qui s’étoffe au fur et à mesure du récit. Tout commence lorsque Pierre reçoit d’étranges messages cryptiques signés des initiales “RS”. Dans un même temps, Medhi et Lila découvrent par hasard un essai sur l’écoféminisme, et établissent un lien avec les mystérieuses missives de Pierre qui s’avèrent être des citations tirées d’ouvrages s’inscrivant au sein de ce courant politique. Lors de son enquête, Lila met à jour une organisation dérivée de ce mouvement, les ReSisters, qui œuvrent en secret pour développer une communauté autogérée écoféministe. Elle parvient à pénétrer dans leur refuge, un lieu ambigu à la frontière du rêve et de la réalité, où les membres de la communauté s’organisent, entre actions de résistance, partage des connaissances, répartition des tâches et transmission de l’histoire des théories écoféministes. Dans un même temps, Pierre et Parvati voyagent en Inde et décèlent les machinations d’Uniboo qui effectuent des expérimentations eugéniques sur les populations locales.

Inspiré de faits réels

La particularité de ReSisters est de mêler son histoire et ses illustrations à des phases de médiation appuyées par la diffusion d’informations sourcées et d’apports théoriques. Il est ainsi possible d’y retrouver des chiffres-clés, des statistiques et des analyses scientifiques sur les thématiques évoquées par les personnages tout au long de l’œuvre : invisibilisation des métiers du “care”, inégalités sociétales liées à l’économie mondialisée, exploitation de la nature par l’homme dans une logique néo-coloniale… Si il peut demeurer une certaine confusion entre les phases d’information et de narration, qui s’enchevêtrent parfois au milieu d’un dialogue, l’ensemble de l’ouvrage proposent de nombreux éléments s’appuyant sur des faits existants pour pousser les protagonistes à initier des réflexions sur le milieu social dans lequel ils évoluent, au même titre que les lecteurs.

Les créations d’Aurore Chapon décloisonnent l’aspect séquentiel du roman graphique pour faire varier les compositions entre des styles “strips” et des mises en page esthétisées. Les ambiances visuelles varient d’une planche à l’autre, et ondoient des illustrations psychédéliques aux couleurs éclatantes vers des pages entièrement réalisées dans une seule nuance chromatique. Ces changements distinguent d’autant plus les différents espaces traversés au cours de la  bande dessinée. On y retrouve des dessins particulièrement denses afin de représenter le bouillonnement politique dans lequel sont plongés les personnages, qui laissent ensuite place à des illustrations oniriques pour dépeindre le refuge des ReSisters.

Le travail graphique déployé se conjugue parfaitement avec les propos narratifs développés au fil de l’œuvre. Cet ensemble cohérent s’ancre dans le genre Solarpunk par sa volonté de porter un message d’espoir, vers la convergence des luttes à mener dans le monde d’aujourd’hui pour atteindre l’utopie écologiste et égalitaire. L’esthétique du roman s’apparente également aux autres créations du courant, en laissant une place prédominante à la nature, en la considérant comme un personnage à part entière dans le récit.

ReSisters interroge, bouscule les idées et invite à penser un monde d’après, où le Solarpunk deviendrait une réalité.

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