La quête du Paradis : psychédélisme dans un paradis artificiel

par Alice Gomont

L’homme a voulu rêver, le rêve gouvernera l’homme ; mais ce rêve sera bien le fils de son père.

Le goût de l’infini

Le monde moral ouvre ses vastes perspectives, pleines de clartés nouvelles. L’homme gratifié de cette béatitude, malheureusement rare et passagère, se sent à la fois plus artiste et plus juste, plus noble, pour tout dire en un mot.

Ce que tout le monde retient de la love generation, c’est leur fameux slogan ‘’ Peace & Love’’. Les premiers hippies américains se rassemblent sur des valeurs communes : la non-violence, la libération des mœurs, le refus de s’intégrer à une société de consommation capitaliste : la pensée sans limite. Avec la déclaration de la résolution du golfe du Tonkin qui entraîne le déploiement massif de troupe militaire dans la guerre du Vietnam en 1964, les hippies revêtent une nouvelle casquette : celle de l’engagement politique, et deviennent des exemples de la désobéissance civile en menant les premières manifestations pacifistes dès 1965. Chaque transgression est un moyen de s’affirmer en marge de la société. San Francisco, plus précisément le quartier de Haight-Ashbury, s’impose comme le lieu de prédilection du développement de la communauté hippie. En 1967, les mouvements de rébellion pacifiques s’intensifient. Deux événements marquent à jamais cette année-là : le Summer of Love et le festival de Monterey.

Qu’est-ce que le haschich ?

Je ne raconterai pas après lui [Marco Polo] comment le Vieux de la Montagne enfermait, après les avoir enivrés de haschisch […], dans un jardin plein de délices, ceux de ses plus jeunes disciples à qui il voulait donner une idée du paradis […].

C’est un certain Humphrey Osmond, psychiatre et chercheur anglais, qui utilise pour la première fois le terme psychedelic. Le terme désigne cette forme d’inspiration et de création artistique qui résulte de l’absorption d’hallucinogènes. Aux alentours de 1940, on parlait déjà d’expérience psychédélique, proposées par les chercheurs aux poètes et artistes. Un siècle plus tôt, Baudelaire s’intéressait aux relations entre les drogues et la création poétique. L’art psychédélique se manifeste en partie dans la littérature (Aldous Huxley) et les arts visuels : affiche de concert (Stanley Mouse), couverture d’album, peinture murale, fanzine…, puis s’est développé dans les arts de la scène avec des jeux de lumières scéniques ou encore dans le cinéma. Il est caractérisé par une identité visuelle propre : motifs kaléidoscopiques, couleurs vives et contrastées, écriture originale avec des lettres épaisses et courbes qui s’imbriquent les unes dans les autres, et d’autres encore. Le motif floral tient une importance capitale, symbole de prospérité et de positivité : c’est le flower power.

Le Théâtre de Séraphin

Un musicien célèbre, qui ignorait les propriétés du haschisch, qui peut-être n’en avait jamais entendu parler, tombe au milieu d’une société dont plusieurs personnes en avaient pris. […] Ces éclats de joie, ces jeux de mots, ces physionomies altérées, toutes cette atmosphère malsaine l’irritent et le poussent à déclarer, plus tôt peut-être qu’il n’aurait voulu, que cette charge d’artistes est mauvaise, et que d’ailleurs elle doit être bien fatigante pour ceux qui l’ont entreprise.

Inutile de rappeler au lecteur l’organisation peu convaincante d’Artie Kornfeld et Michael Lang du très célèbre Woodstock 99, mise à mal dès la veille de l’ouverture de l’événement notamment par la vague de festivaliers qui afflue sans prévenir. Ce qui motive toute cette foule, c’est la programmation à l’affiche. Avec le mouvement hippie, une nouvelle musique se fait entendre. On parle entre autres d’Acid Rock, ou de rock psychédélique. Pensée en live, elle évolue à même la scène, par des improvisations collectives, et des innovations à la fois techniques concernant les instruments (la pédale fuzz, l’adaptation du phasing…), et sonores : l’Acid Rock se plaît à allier différents genres musicaux, à explorer. A l’avant de ce grand navire, on trouve entre autres, Janis Joplin. En 1966, elle rejoint San Francisco, où elle consomme et chante le blues. Janis finit par intégrer Big Brother and the Holding Company, groupe qui a déjà acquis une certaine notoriété à Haight-Ashbury. Janis conduit le groupe jusqu’au sommet de sa carrière, elle devient une véritable icône du chant, de la transgression des règles et des femmes. En 1969, elle fonde son propre groupe, le Kozmic Blues Band, qui fait une apparition au festival de Woodstock. Pendant les dix-heures à patienter dans les coulisses, la chanteuse enchaîne héroïne et alcool. Il faut la soutenir pour l’emmener sur scène, et pourtant elle livre ce soir-là l’une de ses plus mémorables performances.

L’Homme-Dieu

La sinuosité des lignes est un langage définitivement clair où vous lisez l’agitation et le désir des âmes.

L’utopie des hippies, des grands rêveurs de ces années 60-70, c’est celle d’une société alternative à celle de leurs parents, et qui laisse une place à chacun. On y teste les limites de la vie, expérimente tout ce qu’il est possible d’expérimenter, laisse tomber l’angoisse et la pression d’une vie bien planifiée et organisée. Ce refus du conformisme passe par les apparences et le comportement. C’est ainsi que la consommation de drogue se banalise presque parmi les hippies. Sans pour autant devenir systématique, elle est comprise : ceux qui consomment y trouvent une réponse à leurs crises existentielles, même si ça ne dure qu’un court instant. On dit même que la prise de LSD permet de faire ressortir la vraie, ou du moins une tout autre personnalité de la personne qui en prend : une personnalité qui fait tomber les barrières mentales. Dans les écoles, des films visant à dissuader les gens à prendre de la drogue en exposant ses dangers et conséquences sont diffusés, mais les jeunes préfèrent y voir un mensonge du gouvernement et finissent souvent par décider d’en expérimenter eux-mêmes les effets.

Morale

Mais le lendemain ! le terrible lendemain ! […] La hideuse nature, dépouillée de son illumination de la veille, ressemble aux mélancoliques débris d’une fête.

Certains s’amusent à penser qu’aujourd’hui, tout le monde est au fond un peu hippie, à chercher des réponses aux questions qu’on n’osait pas poser avant, à trouver que tout ce qui permet de nous exprimer librement est un bon moyen d’expression. Le mouvement frénétique des 60s et des 70s n’est plus ce qu’il était, mais l’insatiable quête du bonheur et du Paradis, d’un monde meilleur, elle, ne s’est jamais dissipée.

*Structure et citations : BAUDELAIRE, Charles, Paradis Artificiels, opium et haschisch, Paris, Poulet-Malassis et de Broise.

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