par Théo Toussaint
Jeph Loeb et Tim Sale offrent une vision intimiste et humaine de Clark Kent, où son parcours initiatique se confronte à la ville idyllique de Metropolis.
La période des Trente glorieuses commence après la Seconde Guerre mondiale, et comprend une dimension de transformation de la société occidentale, associée à la reconstruction des villes. Le contexte historique offre une opportunité au développement économique qui s’accompagne d’un véritable optimisme technologique. Les années 50/70 sont ainsi marquées par la conquête spatiale, le début de l’informatique, et l’introduction de la consommation de masse à grande échelle. Au cours de ces décennies où tout semble possible, la représentation de l’utopie moderne trouve une portée symbolique auprès des architectes qui participent au renouveau de l’espace urbain. Le terme d’utopie, apparu en 1516 dans l’ouvrage de Thomas More, désigne le rêve inaccessible d’un monde parfait, un modèle social à atteindre illustré par la description d’une île fictive. Cette vision se concrétise au cours des années 50 par la conception de nouvelles mégastructures et métropoles tentaculaires destinées à remplacer les villes du passé.
La forme urbaine devient “sans borne” grâce à la mise en application du design fonctionnaliste dans la construction des édifices post-modernes, les zones périurbaines s’étendent et les immeubles s’allongent. L’esthétique reprend quant à elle des éléments épurés et des lignes fuselées, inspirée par le Streamline“Streamline” des années 30. Ces différents mouvements suggèrent intuitivement la fonction par la forme, si le fonctionnalisme s’approche de l’architecture brutaliste, le Streamline “Streamline” prend ses racines dans le design Art Déco. Ce fantasme idyllique au carrefour de plusieurs influences a façonné la représentation visuelle de la ville fictive de Metropolis, et propose une allégorie de la conception futuriste de l’architecture des années 50. LPar exemple, le bâtiment abritant la rédaction du “Daily Planet” est une réadaptation des “A&T Huron Road Building” et “Paramount Building”, deux ouvrages architecturaux de la période Art Déco.
Super-pouvoirs & exode rural
Superman for all seasons, écrit par Jeph Loeb et dessiné par Tim Sale, décrit la quête initiatique de Clark Kent en tant que Superman. L’introduction du roman graphique y expose son départ de Smallville vers Metropolis. Cette décision de quitter sa ville d’enfance pour s’implanter dans une zone urbaine n’est pas sans rappeler le dernier grand mouvement d’exode rural, commencé après 1945. Le récit se décompose en quatre parties, pour chaque saison de l’année, au cours desquelles autant de personnages se succèdent en tant que narrateurs. Ce découpage rédactionnel au sein de l’œuvre invite les lecteurs et les lectrices à découvrir l’homme d’acier sous un point de vue externe, immersif et inédit. Au prémices du printemps, Clark Kent est dépeint par son père. La relation père-fils est ainsi abordée par le prisme de Jonathan Kent dans la posture du parent face au départ de son enfant. Le jeune garçon de campagne vit ses déboires quotidiens, partagés entre ses sorties au diner avec ses camarades, ses travaux fermiers et la fin de son lycée.
Lorsqu’une tornade s’abat sur la ville, le protagoniste décèle le potentiel surhumain de ses capacités, et vole au secours d’un quidam. Cette scène marquante motive son choix de partir pour Metropolis afin d’aider le plus grand nombre, et fait symboliquement basculer le héros de l’adolescence à l’âge adulte.
Dans la sSeconde partie du comics, : l’été est raconté à travers le regard journalistique porté par Loïs Lane, collègue de Clark au Daily Planet et reporter aguerrie, qui s’interroge sur le concept même de Superman dans une curiosité méfiante mêlée d’admiration. Son témoignage individuel contraste avec l’exhortation générale de la population face à l’arrivée de Superman, Metropolis accueille son justicier avec un enthousiasme débordant. Seul Lex Luthor éprouve une défiance sans égale face au héros, qu’il dénonce comme narrateur dansde la troisième partie. Si l’entrepreneur véreux estime que la popularité de cet Hercule moderne éclipse la sienne, ses machinations vont pousser Superman à quitter la métropole futuriste à l’issue de l’automne, accablé par le poids de ses responsabilités. L’hiver signe la fin du récit, au cours duquel Clark Kent éprouve une profonde remise en question face à son rôle de super-héros. Il retrouve foi en ses engagements grâce à Lana Lang, son amie d’enfance et dernière narratrice du roman.
Sous le S, un cœur qui bat
La narration s’attarde sur le rapport de Superman à son environnement, son acclimatation à la ville et son attachement à la campagne. La construction de l’histoire autour de la relation rural/urbain offre un sous-texte intéressant sur la psychologie de l’individu. Comme le suppose Loïs Lane, l’homme d’acier dispose une “forteresse de solitude” afin de se ressourcer et veiller à sa santé mentale. La ferme familiale devient son point de repère pour lui permettre de prendre un temps de réflexion. Malgré son architecture “Streamline” et son aspect utopique, Metropolis devient la source d’anxiété et d’isolement de Clark Kent. La composition des planches renforce parfois le sentiment de “spleen” du personnage, en l’isolant d’une composition, ou en le représentant seul et pensif, dans l’intimité de sa chambre étriquée. L’esthétique graphique joue un rôle prépondérant dans l’illustration des émotions du héros. Si les cases évoquant le doute utilisent des couleurs froides, la dernière partie s’appuie d’autant plus sur ce procédé, en faisant coïncider l’état général du protagoniste à la thématique hivernale.
Tim Sale propose un dessin tout en rondeur, à ligne claire minimaliste. Ses inspirations font également écho aux années 50, en rendant hommage au mouvement réaliste américain. Influencé par les peintures d’Edward Hopper et Norman Rockwell, certaines compositions du dessinateur délaissent parfois le tumulte d’actions pour représenter des scènes de vie quotidiennes de la classe moyenne, des discussions de café aux dîners chaleureux. Ces mises en scène participent à dépeindre l’American Way of life des Trentes Glorieuses, et renforcent l’immersion intimiste et l’atmosphère profondément naturaliste du récit.
L’illustrateur propose un traitement visuel du héros aux antipodes des productions modernes, en amplifiant sa caractérisation physique. Sa silhouette singulière le distingue comme un être à part, celui-ci paraît bien plus large et imposant que les autres personnages de l’œuvre. Sa carrure se mue en fonction des situations : Clark Kent est représenté voûté, recroquevillé sous son propre poids, alors que Superman se dresse fièrement en bombant le torse. Cette transformation renforce sa détermination, lorsque le justicier peut enfin faire tomber le masque de son identité civile pour se révéler tel qu’il est réellement, une entité capable de tout pour aider ses semblables. L’ensemble de ces éléments participent à offrir une ode complète à l’homme d’acier, autant sur ses aspects narratifs que visuels.
Superman for all seasons est un hommage rétro parfaitement maîtrisé, à l’iconographie sublime et aux thématiques particulièrement touchantes.
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