Tourbillon de mémoire et cris de désespoir. 

par Noémie Sulpin

Des œuvres sur les conflits mondiaux naissent chaque année, nous rappelant avec justesse et émotion les horreurs qui se sont réalisées de part et d’autre du champ de bataille. Un cauchemar dont il fallait faire sortir les traits pour ne pas sombrer dans la folie comme en témoignent les milliers de poèmes rédigés par les combattants durant la Première Guerre mondiale. Mais qu’arrive-t-il si la folie les rattrape ? Si les monstruosités s’emparent d’eux ? Si elles pourrissent dans les cœurs avant d’avoir eu le temps de les extérioriser ? C’est ce qu’a souhaité nous imager Laurent Gaudé dans son roman Cris, publié en 2001 aux éditions Actes Sud. 

À l’image d’un journal de Bord, nous basculons d’un point de vue à un autre, intimement proche de six soldats, éparpillés sur l’échelle des âges. La nuit tarde et plane dangereusement au-dessus des tranchées, les lueurs du jour ne viennent qu’au bout des 126 pages du livre apportant son lot d’angoisse et d’appréhension. La guerre pour autant ne dort pas, elle ne cesse jamais. La narration, rythmée, nous emporte dans cette course folle, par-delà la mort soudaine et les éclats d’obus. Nous prenons le risque de nous attacher, sans trop le vouloir, par la force des lignes qui se succèdent, à des personnages aux vies éphémères. 

La guerre n’est marquante que pour ceux qui la font.

Il y a quelque chose de cinématographique à la rédaction. Nous tournons la tête dans tous les sens, à l’instar d’une caméra, pour découvrir avec effroi les cadavres puants, les rats, les armes et le sang.   Ainsi que le sentiment de danger qui préoccupe et lie chacun des héros. Aucune pudeur ne masque la réalité du décor. La mort apparaît telle qu’elle est : abrupte et sale. Ce contexte brutal est adoucit par le ronronnement du train qui ramène Jules à Paris. Une transition qui se voudrait tendre et lente si les images qui défilaient devant ses yeux n’étaient pas celles des affrontements qui le poursuivent. Est-ce encore un homme ou la simple mémoire vivante de ceux qui ont péris ? Parce que oui, là où la vie s’écoule sans drame, les informations ne sont pas transmises. Les horreurs de la guerre sont passées sous silence, la mort des sacrifiés nous paraît tout de suite injuste, imagée dans la structure du livre par un nom qui n’apparaît plus en début de chapitre, disparu, soudainement oublié. Le devoir de mémoire naît de ces fantômes qui ne peuvent se résigner à mourir sans bruit, et Jules en devient le porte-parole.

« Il faut que je te montre aux hommes. Leur montrer le cri. Brandir devant eux ta bouche éventrée. Je vais ramener le cri. Pour que la guerre cesse à jamais. » MARIUS ; p 122. 

Mais voilà, un livre de Laurent Gaudé, ne pourrait être sans sa pointe de mystère, parfois lié à quelque chose de surnaturel ou qui dépasse l’entendement. Qui est cet homme qui hurle et déambule dans les collines du No man’s land toutes les nuits ? Quand cessera-t-il de crier ainsi ? Faut-il le tuer pour préserver la présence d’esprit de tous les autres ? C’est la mission que se donnent Marius et Boris au milieu des barbelés. Trouver, attraper et faire taire celui qui, s’il continue, va finir par réveiller la détresse collective qui sommeille en eux. L’homme cochon, aussi furtif qu’une ombre, est difficile à capturer. Le peut-il vraiment ? Est-ce une image ? Un symbole ? Suivez Marius et Boris dans leur quête de la vérité pour découvrir son vrai visage. 

Je vous promets une lecture captivante, émouvante et cruelle. 

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