Batman White Knight : le Chevalier Noir tombe le masque

Comment réinventer une figure mythique de DC Comics vieille de 82 ans ? Batman a vécu des milliers d’aventures, le plus souvent représenté comme le héros parfait, sans faille, le plus grand détective du monde. Il apparaît pourtant que le chevalier noir a été rarement dépeint comme l’antagoniste de son propre récit. Comment le faire basculer dans ses retranchements les plus sombres, si ce n’est qu’en l’opposant à son némésis de toujours, le Joker ?

Déstructurer le personnage de Batman

Batman White Knight est une création originale de Sean Murphy, à la fois scénariste et dessinateur sur le projet, issu du récent Black Label de DC Comics. Plus précisément, ce roman graphique est la première production officielle de la collection adulte empreinte de l’éditeur américain. Publié en 2018, le récit reprend les influences bâties autour des créations intégrant le héros de Gotham de ces 40 dernières années.

Murphy propose une vision moins manichéenne qu’à l’accoutumée de l’affrontement entre le chevalier de Gotham et le Clown prince du crime. L’auteur vient questionner la dualité entre ces deux grandes figures de la bande-dessinée, en posant une réflexion simple, et si Batman était finalement à l’origine de la criminalité ? Est-il vraiment bon ? Ces actions ne sont-elles pas caduques, et ne viennent-elles pas garantir un statut quo dans la ville de Gotham ?

L’histoire débute par une course-poursuite entre le Joker et le justicier. Derrière la banalité de l’action, une idée transparaît : après des années de lutte contre le crime, le héros est devenu pragmatique et violent. Il n’hésite plus à détruire tout sur son passage, comme un ouragan, pour arriver à ses fins. Les dégâts collatéraux et les blessures infligées aux citoyens sur son passage sont indignes de Batman, pourtant, le chevalier noir fait fît de l’autorité, et use des moyens les plus archaïques pour combattre ses adversaires. Comme il l’explique dans l’une des dernières cases du comics :

« Je n’utilise pas d’armes à feu et je ne tue pas… Mais ça ne fait pas de moi un bon samaritain pour autant. Parfois, c’est une excuse pour laisser libre cours à ma brutalité. Et ça a rendu des criminels comme le Joker encore pires. Je ne sais pas pourquoi je porte le masque. Pour leur faire peur ? Ou parce que je me fais peur à moi-même ? »

Après avoir retrouvé le Joker dans une usine pharmaceutique, le justicier s’acharne sur le criminel. Il le roue de coups et le force à avaler des pilules disséminées dans le bâtiment. Le commissaire Gordon, Batgirl, Nightwing et les agents du Gotham City Police Department regardent, médusés et impuissants, un héros déchu tabasser un pauvre homme. La séquence est filmée par un.e inconnu.e et publiée sur les réseaux sociaux. La vidéo devient virale et les médias locaux commencent à se questionner sur la débauche de violence du chevalier noir. Fait-il réellement le bien en atrophiant en toute impunité l’un des vilains les plus recherché de Gotham ?

Cette réflexion vient faire écho à la multiplication des actes de violences de la part des forces de l’ordre. Comme le décrit le sociologue Fabien Jobard dans l’édition spéciale de La Revue Dessinée de Mediapart centrée autour des violences policières :

« Les policiers doivent se poser deux questions : est-ce que la force est le seul moyen d’exercer le mandat qui m’est confié ? Son usage est-il proportionnel, soit au danger encouru, soit à la résistance qu’on m’oppose ? Il y a violences policières quand l’usage de la force n’est pas nécessaire ou n’est pas proportionné. »

L’identité secrète de Batman est-elle Alexandre Benalla ? Pour autant, la prise de médicaments forcée infligée au Joker lui a permis de recouvrir ses capacités cognitives. Le Clown prince du crime n’est plus animé par ses pulsions destructrices et le chaos, il aspire à une vie normale, comme si il était « guéri » de sa folie. Il demande à se faire appeler Jack Napier et souhaite poursuivre en justice la GCPD pour non-assistance à personne en danger.

Le Joker, populiste de Gotham

Le « chevalier blanc » veut poursuivre sa lutte contre les institutions de la ville, au-delà des tribunaux. Si Batman est persuadé qu’il s’agit d’une ruse, utilisée par le Joker pour anéantir Gotham, Harley Quinn, quant à elle, est convaincue de la sincérité de Jack Napier. Celui-ci vient s’opposer aux élites, il se qualifie de représentant des 99% d’opprimés, les premières victimes de la corruption. Il mène des actions de solidarité dans les quartiers populaires et soulève un problème de taille pour l’intelligentzia Gothamite : selon Jack Napier, Batman se bat dans les quartiers les plus pauvres, là où la criminalité est la plus importante. Dans ses affrontements, il détruit régulièrement les infrastructures, ce qui permet aux rentiers d’acheter des biens immobiliers à moindre coût, et d’utiliser le fond d’urgence « réparation Batman » de la municipalité pour rénover les appartements afin maintenir des loyers élevés. Pour ce défenseur des oubliés de Gotham, Batman défend les intérêts des plus riches, il appartient à l’élite bourgeoise et permet aux élus locaux d’établir leur politique sur le vigilantisme, en maintenant un budget minimal pour la police.

Les agissements de Jack Napier rappellent fortement l’organisation du mouvement de désobéissance civile d’Occupy Wall Street : il demande à manifester pacifiquement et à occuper les lieux institutionnels de la ville. On peut également faire un parallèle avec l’adaptation cinématographique de Joker par Todd Phillips sortie en 2019, où le vilain est cette fois-ci l’instigateur, malgré lui, d’un mouvement de révolte à Gotham.

Mais l’auteur sème le doute, le lecteur s’interroge lors de la lecture du comics, de la volonté de Jack à faire évoluer la situation sociale. Si il s’entoure de figures contestataires et fait du quartier de Backport son cheval de bataille, l’ex-Joker est avant tout un redoutable adversaire politique, est-il convaincu de sa démarche ou s’appuie-t-il sur la colère populaire pour se faire élire à la mairie ?

Batman White Knight pose des réflexions très intéressantes en rattachant l’univers du chevalier noir aux problématiques d’actualités. Si Sean Murphy soutient en interview que ce comics n’a pas de portée politique, il est pourtant difficile de ne pas y voir un commentaire sur la situation des États-Unis sous l’égide de l’ancien président Trump. Au fur et à mesure de la lecture, ces questionnements moraux sont abandonnés pour laisser place à une lutte plus classique contre un ennemi mystérieux. Les idées sensées réinventer le récit sont donc laissées en suspend, et les pistes d’élucubrations évoquées plus haut concernant Batman et le Joker sont rapidement expédiées en quelques pages. Si l’histoire redevient plus simple dans ses derniers chapitres, les visuels du comics, quant à eux, restent saisissants, de la première à la dernière vignette. Les planches colorisées par Matt Hollingswoth détonnent par un découpage net du clair-obscur. Chaque case regorge de détails, la mise en scène des scènes d’actions est particulièrement dynamique, grâce au travail sur le mouvement des personnages et des déplacements en véhicules. Sean Murphy propose également un travail sur le re-design des personnages iconiques de la mythologie de Batman. Les nouveaux costumes sont réussis, et viennent prendre à contre-pied les dernières versions de l’univers du justicier, plus tournées vers l’aspect technologique, à l’insta d’Iron Man chez Marvel.

Trois ans après la publication de Batman White Knight, il apparaît que ce comics était une bouffée de fraîcheur au sein des publications de DC. Alors que, dans la continuité classique, le chevalier noir fait face depuis 2018 à ses doppelgängers maléfiques dans l’arc scénaristique Batman Metal, l’histoire de White Knight nous narre un récit politique troublant, bien loin des affrontements cosmiques entre multivers auxquels la maison d’édition a finit par nous habituer.

Une réponse à « Batman White Knight : le Chevalier Noir tombe le masque »

  1. La Murphyverse… Ce batman porte un univers propre à son auteur. Le scénario bouscule et le coup de crayon frappe. Bon article. Je viens de faire un billet sur Sean Murphy. N’hésite pas à venir y faire un tour

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