Errance en terre dévastée : Zone Z

par Théo Toussaint

Le premier récit long de l’auteur Renaud Thomas invite le lecteur à explorer au côté de ses protagonistes une contrée déliquescente peuplée d’êtres bouleversés.

Créateur lyonnais aux multiples facettes, Renaud Thomas dévoile tout son art à travers une diversité de rôles : scénariste, illustrateur, sérigraphe dans l’atelier de la librairie Expérience, fondateur de la maison de publications Arbitraire et organisateur du Grand Salon de la Micro-Édition. L’artiste est habitué aux collaborations graphiques au sein de nombreux fanzines et ouvrages auto-produits dans lesquels il livre des compositions uniques, empreintes d’une certaine obscurité, marquées à l’encre noire et régulièrement critiques de la société consumériste.

Initié par une série de planches épisodiques publiées dans différentes revues consacrées à la bande-dessinée indépendante, Zone Z se dévoile pleinement au sein d’un ouvrage intégral aux éditions Cornélius. L’œuvre cristallise l’essence des travaux artistiques de son créateur. Renaud Thomas expérimente les bizarreries surréalistes et initie de curieuses trouvailles dans un recueil de 168 planches. Ce format plus étendu lui permet de réadapter ses propres codes visuels et narratifs afin d’immerger d’autant plus le lecteur au sein de son univers.

Juste la fin du monde

Zone Z est un récit d’exploration post-apocalyptique rythmé par la progression de ses deux protagonistes, qui débute dans la plus banale des situations. Deux adolescents sortent d’un bus pour rentrer chez eux. Pris d’un élan de curiosité, l’attention du duo se porte la lisière de leur quartier : de l’autre côté de la route se trouve la Zone Z. Sur un coup de tête, ils se décident à explorer ce mystérieux territoire désertique et inhospitalier. Les deux camarades font fît des injonctions de la vie réelle et s’enfuient dans ce no man’s land par l’envie la plus spontanée d’expérimenter et de découvrir en toute liberté. 

Après quelques planches à vagabonder au milieu des rues vides jonchées de déchets, où se côtoient les terrains en friche et les bâtiments détruits, les héros font la rencontre d’un étrange personnage affalé sur un banc. Celui-ci, muni d’un vieux dictionnaire électronique, assure ne pas vouloir son emplacement pour se dévouer à apprendre “tous les mots qui existent”. Il est soutenu dans sa tâche par son coach de vie, un éléphant en peluche rapiécé, avec lequel il discute dès que les deux garçons ont le dos tourné.

Cette première interaction marque le ton de l’ouvrage, à la fois absurde et terriblement inquiétant. La galerie d’interlocuteurs qui peuplent la Zone Z renforce cette ambiance malsaine omniprésente par une caractérisation visuelle insolite et des dialogues cryptiques. Les deux jeunes aventuriers parcourent silencieusement les vestiges de cette civilisation dépeinte comme une société de consommation à outrance, envahie par des champs sans fin de panneaux publicitaires. Des centres commerciaux abandonnés aux cheminées décrépies des usines, les paysages désolés se délitent au fur et à mesure des pages. 

Les êtres vivants comme les bâtiments semblent anéantis. Durant leur déambulation prolongée dans les ruines, les adolescents se heurtent à l’hostilité des mystérieux habitants de la contrée dévastée. Ceux-ci sont menacés par des humanoïdes mutants reclus dans les égouts lorsqu’ils évoquent le monde au-delà des profondeurs du cloaque et bien au-delà de la Zone Z.

J’irai pourrir chez vous

Les deux héros prennent le rôle de témoins entre les différentes péripéties du récit. Bien que les protagonistes se voient sollicités au fil de multiples rencontres pour accomplir plusieurs tâches : apporter un document au Centre d’Obtention du Travail, pêcher des poissons, retrouver une fleur dans le désert… Ceux-ci maintiennent une certaine distance avec les occupants de la région ravagée pour conserver une vision très extérieure aux événements. A contrario, le soin apporté à la narration graphique renforce l’implication du lecteur pour découvrir les autres mystères de la contrée post-apocalyptique. 

Renaud Thomas y insuffle une dimension marquée par l’effritement et le chaos, grâce à une technique soutenue autour des textures et des trames. Le dessin est simplifié pour les personnages afin de faciliter l’identification et accentuer le travail sur les arrière-plans qui fourmillent de détails tortueux, remplis des bizarreries qui composent les environnements. Le graphisme est en bichromie, l’auteur use du noir et blanc auquel il ajoute des tâches verdâtres éparses pour donner un rendu particulièrement texturé, qui renforce l’aspect sale et dégarni de la Zone Z. L’œuvre se distingue également par un découpage novateur, la composition des planches utilise des lignes obliques acérées pour séparer les différentes cases. Cette manière très brutale d’user des outils séquentiels pour construire la narration permet de rythmer de manière dynamique et d’intensifier l’âpreté de ce monde sauvage. La proposition graphique s’approche curieusement de l’art brut, dans la volonté d’offrir une production forte par l’utilisation d’un trait épais, bourru et cru.

Cette esthétique trouve une opposition symbolique dans la réalisation de certaines scènes où le dessin s’effrite lentement à chaque case pour se transformer en une composition de plus en plus abstraite. Ces planches magnifient le vide en effaçant les éléments et octroient des espaces de respiration au sein du récit. Deux langages se côtoient ainsi au sein de l’œuvre : le chaos esthétique qui submerge le lecteur de micro-éléments et les phases d’accalmie où le vacarme laisse place au néant. Ces passages initient un sentiment de mélancolie et isolent souvent les deux adolescents de la violence du monde extérieur.

Zone Z propose une complémentarité singulière entre son propos narratif et son univers visuel. Le récit conserve le mystère intact autour de cet énigmatique no man’s land.

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