Témoignage d’un écrivain hippie

par MALBEC Kyllian

« Wait until the war is over

And we’re both a little older.

The unknown soldier practice where the news is read,

Television children dead unborn,

Living, living, dead,

Bullet strikes the helmet’s head.

And it’s all over for the unknown soldier,

It’s all over for the unknown soldier. »

The Unknown Soldier, The Doors, 1968

Mon très cher père y était, dans ses hélicoptères, volants tels les aigles des grands drapeaux américains, allant massacrer un peuple d’opprimés, mais bien plus malin. Les soldats étaient sans cesse pris en embuscade dans les marais, qu’ils ne connaissaient pas, les Américains comptaient seulement sur la puissance de feu, le napalm et leurs fameux hélicoptères, des morts et encore des morts. Mais en face de ceux-ci, ils comptaient sur leurs connaissances du terrain et leurs agilités, des morts et encore des morts. Les Américains faisaient cette guerre sous la théorie des dominos, selon laquelle il fallait éviter le basculement d’un pays vers le communisme, car les pays voisins basculeraient à leur tour. Le but est de prévenir une future domination communiste du sud-est asiatique. Mais nous savions tous que c’était seulement des balivernes.

À cette époque, je venais d’avoir 18 ans, c’était en 1969, la guerre du Viêtnam faisait rage, Richard Nixon était au pouvoir et en face la jeunesse s’élevait depuis quelques années, sous un drapeau “Peace and Love”, je parle bien entendu du mouvement hippie.

Le groupe de The Doors était au sommet de sa gloire, avec Jim Morrison représentant la liberté, le caractère tempétueux et l’envie de désamorçage de cette guerre, qui l’obsède comme tous ses congénères, Frank Zappa, Bob Dylan, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Ravi Shankar, The Mamas and the Papas, Grateful Dead, Pink Floyd et bien d’autres. Je me souviens encore de tous ces titres sur lesquels on dansait, comme si c’était la dernière fois.

J’étais à l’époque un farouche admirateur de Jack Kerouac et de son livre “On The Road”, qui est sans nul doute l’un des précepteurs du mouvement hippie, la genèse de leur frivolité et désir de liberté. Je me souviens aussi de cette première année en tant qu’adulte, où un flot de responsabilités était tombé sur mes épaules. J’avais reçu une lettre de convocation au service militaire, prémisse de l’ultimatum de la guerre. Comme tous les autres jeunes, je les avais ignorés, encore et encore. Nous sommes, sans aucun doute, une cause de la fin de cette guerre, le manque de soldats sur le terrain. 

J’avais entrepris face aux horreurs du monde, aux injures des médias envers notre jeunesse américaine et l’ignorance, de me lancer dans l’écriture d’un livre, dès lors, j’étais enfin devenu un écrivain de cette génération. Depuis petit, le monde se révèle sous ma plume, l’ablation de mon désir de transcription, c’est m’ôter de compréhension de ma condition. Ô diable, si écrire n’est pas vivre, alors vivre ne m’intéresse guère. J’aimais écrire depuis que, adolescent, j’avais rencontré un ami à mon père, qui avait une peur bleue de ce conflit, qui à cette époque commençait simplement à montrer le bout de son nez. On devait être dans les environs de 1961, le président américain John Fitzgerald Kennedy avait envoyé sur place quelques troupes déguisées en conseillers militaires. L’ami à mon père avait passé une semaine chez nous avec sa femme. Plus les jours passaient, plus son regard sombrait. Il me regardait d’un regard ahuri, et disait sans cesse « faut que je déroule ! Faut que je déroule ! Ma pensée ! Ma pensée ! » Encore et encore, ses bras ballants de droite à gauche, son fils évitant jamais de loin l’une des mains. Un spectacle des plus burlesque s’exposait à mon regard d’enfant dont la pensée était encore livide telle les rêves enfantins. Était-il ivre ? Ou simplement pris de la pulsion littéraire que l’on idéalise trop souvent. Sa femme le regarde, passive, pense-t-elle ? Pleure-t-elle ? Ou écrit-elle un roman elle aussi ? Puis le soir il s’enfermait, muni de sa machine à écrire et l’insomnie devient ses heures de travail.

Du côté de la fenêtre de sa chambre, un chantier trônait comme décor principal. Remplis en son sein d’hommes et de femmes moroses aux corps distordus et criant d’une vérité ignorée, ils étaient, dans cette scène, le symbole du chaos s’annonçant à l’horizon. Il les fixait s’imaginant les marteaux comme M16, les casques de sécurité comme des casques M1 et la boue comme les marais tortueux, propices aux embuscades. Dans ma tête, les premiers pétunias tombèrent du ciel, tel le cor prévenant l’arrivée de l’apocalypse.

Je fais désormais partie des vieux hurlants de dégoût face au cinéma américain de la fin des années 70 et des années 80, qui faisait seulement l’éloge du trop-plein de sang versé.

Désormais, parlons des abus, j’ai consommé durant ces années folles, des tonnes de litres d’alcool, pris du LSD dès que l’occasion se présentait à moi, j’avais même atteint le point de non-retour, j’étais faible, addict et ma vision complètement troublée. C’était notre façon de braver les interdits et de nous ouvrir à nos continents intérieurs, ouvrir les portes de la perceptions, mais sur le long terme à quel prix ? C’était notre façon à nous de songer et de rendre honneur, la main sur le cœur, en jonchant les champs parsemés de leurs corps par la force de nos esprits, leurs corps à eux qui s’étaient battus pour des causes qui les dépassent, en regardant dans la boue des marais, le corps de leurs confrères. Chaque jour n’était pas une fin, mais un rencard en moins avec la vie.

En décembre 1969, lors du concert des Rolling Stones à Altamont, un membre du club des motards des Hell’s Angels tue un spectateur, les membres du groupe fuient en hélicoptère, cette date marque, selon les médias, la fin de l’ascension du mouvement hippie. Suite à cela, nous avons continué malgré tout jusqu’au 30 avril 1975 où le camp soviétique prend Saigon et gagne la guerre du Vietnam. Les deux Vietnam s’unissent pour former la République socialiste du Vietnam, avec un gouvernement majoritairement communiste. Les Etats-Unis avaient donc perdu, la guerre était finie, notre mouvement avait pris une ampleur mondiale. Mais peu à peu, tout cela semblait s’étouffer, je me suis lancé à temps plein dans l’écriture et de manière générale, nous sommes devenus un style et un élément de la pop culture mondiale. Ça aura été plus qu’un mouvement, mais une révolution dans l’ombre, dans l’ombre esquissée par les médias, nos aînés et le gouvernement américain. J’ai dansé, festoyé, aimé et lutté, dans un monde de brutes. Je suis heureux d’avoir fait partie de ce mouvement, qui en s’estompant à laisser place, à un monde machinal, guidé par l’argent et les intérêts. Les nostalgiques, qui osent s’y opposer, sont aujourd’hui des marginaux.

J’ai aimé écrire pour ceux que j’ai aimé, à vous, mes amies, mes amours, ce n’est qu’un au revoir.

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