Tandis que le début de l’année 2022 voyait la tenue d’un colloque au sujet de « l’islamo-gauchisme » qui gangrènerait les universités, la défense de la liberté de culte semble être redevenue une idée de gauche. Pourtant, de nombreux-ses penseur-euses socialistes ont à maintes reprises critiqué la religion, dont Marx qui, la considérant comme « l’opium du peuple » semblait l’avoir disqualifiée. Mais Marx souhaitait-il abolir la religion ?
Marx pense l’humain-e comme un être social, façonné-e par la société et empreint-e du contexte de son existence. Il a une conception matérialiste de la religion dans le sens où elle est dépendante de son contexte d’émergence et qu’elle est déterminée comme toute la vie sociale, politique et culturelle par l’infrastructure : l’économie. Marx condamne la religion comme idée consolatrice d’une vie pénible et l’au-delà comme récompense d’une existence misérable : la lutte est nécessaire pour l’humain qui existe ici et maintenant. Il reprend une critique de la religion à partir du concept d’aliénation déjà formulé par Feuerbach : l’humain-e attribuant ses conditions d’existence à un auteur imaginaire est désemparé-e de sa vie et se sent étranger-e à ellui-même. L’humain-e projette par son imagination une version idéalisée d’ellui-même, c’est sa conscience propre et Dieu n’est alors que son reflet – analyse que reprendra Durkheim. Pour Marx, la religion est bien une construction sociale :
« l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme ».
Mais le problème est qu’elle justifie les inégalités sociales et économiques, légitime un monde où la majorité des humain-es sont aliéné-es. La religion joue le rôle d’anesthésiant pour un peuple qui ne prend pas conscience de l’injustice de ses conditions de vie. Marx s’oppose à l’ordre naturel des choses affirmé par la religion et ne voit que des conditions matérielles d’existence historiques qui peuvent être changées. Surtout, la Bourgeoisie a détruit la religion, devenue un rempart contre la révolte, confortant alors son pouvoir. En effet, dans sa conception matérialiste de l’histoire, Marx pense une lutte acharnée entre les prolétaires exploité-es et les bourgeois-es dominant-es au sein du mode de production capitaliste qui doit déboucher sur une révolution lorsque les opprimé-es auront pris conscience de leur aliénation.
Mais la religion est aussi une aspiration à un monde meilleur, elle contient alors en elle-même une contradiction qui fait que Marx ne voudra jamais abolir la religion mais la transformer. En effet, Marx et Engels n’accusent pas la religion de tuer la lutte des classes, ils accusent spécifiquement les bourgeois-es, à l’origine de la religion telle qu’elle prend forme à son époque, de tuer la lutte des classes dans leur propre intérêt. Engels compare longuement les Chrétien-es et les Socialistes, les premier-es voulant se délivrer de la servitude et de la misère dans le ciel, et les second-es, dans ce monde. Ainsi, la religion comme le mouvement ouvrier refuse la misère, mais la vie éternelle promise après la mort amoindrit peut-être l’intérêt d’une révolte soudaine. Les croyant-es semblent préférer attendre le Paradis en vivant sans heurts.
Marx n’est donc pas anti-religion mais il la pense néfaste telle qu’elle est conçue par les bourgeois-es. La lutte contre les idées religieuses n’est pas nécessaire, c’est plutôt l’influence de la classe dominante et son implantation dans les Institutions qu’il faut tuer. La critique de la religion n’est qu’une prémisse à l’émancipation humaine qui doit être substituée par une critique du droit et surtout de la société et de son économie. La lutte des classes reste la priorité. Et en réalité, la religion a historiquement amené les humain-es à agir, elle a été un moteur de guerres et elle pourrait être un moteur de révolte. Si l’humain-e pense sa condition comme inacceptable au regard de ce qu’aurait voulu Dieu, si l’humain-e souhaite la réconciliation pour satisfaire la volonté divine, la religion peut servir de carburant révolutionnaire fort.
Au final, sa critique de la religion est un moyen complémentaire de la critique économique du mode de production capitaliste pour dénoncer l’aliénation des humain-es. Néanmoins, Marx est un penseur matérialiste, pour qui rien n’est absolu ou anhistorique : la religion n’est alors pas condamnée en soi mais en ce qu’elle est selon son contexte d’existence. La mobilisation massive du collectif des Hijabeuses qui se bat pour conserver le droit de pratiquer le sport avec un voile révèle bien que la religion n’endort pas nécessairement les opprimées.
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