Article écrit par Heolruz
L’unité humaine que j’incarne n’est pas un objet immobile et passif qui se trouve sur l’espace planétaire. Et toi cher·e lecteur·rice tu n’es pas non plus une entité qui ne se déplace pas, tu rencontres cet espace et le Monde entier s’y retrouve, s’y confronte, nous formons un peu à notre échelle un choc général. Bien généralement, on retrouve l’idée de violence et de conflit dans la collision mais je préfère surtout retenir que ce sont avant tout des objets avec des caractéristiques différentes qui se font face et se télescopent. Et puis ici je vais transmettre quelques mots et quelques idées qui entreront peut-être en résonance chez toi pour susciter de l’intérêt (ou non). La collision au cinéma se rencontre à tous les niveaux, c’est aussi bien les premiers souvenirs de films que l’on a gardé que la première œuvre qui nous a époustouflé, un film «de chevet» qui nous rassure. J’ai sélectionné ainsi pour ce numéro, une œuvre audacieuse qui m’a marquée et qui est remplie de ces collisions.
Voici donc un film Taïwanais de Hou Hsiao Hsien, The Assassin qui est sorti dans les salles
de cinéma à partir de 2015. Réalisateur de Poussières dans le vent (1986) mais aussi Millennium Mambo (2001) il est un artiste reconnu internationalement. La production de ce film n’est pas exclusivement taïwanaise, les acteur·rices sont pour certaines chinoises (Zhou Yun, Yong Mei) et les lieux de tournages s’éparpillent entre le Japon, la Chine et Taiwan. Les relations politiques sont certes difficiles entre la Chine et Taiwan mais cela n’empêche pas des collaborations fructueuses et une proximité culturelle, linguistique, artistique. Hou Hsiao Hsien à d’ailleurs des liens étroits avec le cinéma chinois puisqu’il a été le producteur d’Épouses et Concubines (1991) de Zhang Yimou. C’est deux ans auparavant, en 1989, que l’ébauche de The Assassin naît, un travail avec des hauts et des bas récompensé à sa sortie en 2015 par le prix de la mise en scène au festival de Cannes.
The Assassin reprend dans son scénario une légende historique du IXe siècle chinois. De ce point de vue il n’y pas de surprise, la trame est déjà fixée et le déroulement des faits est accompli de manière classique. L’utilisation d’un registre historique permet surtout l’usage de costumes, de lieux et du genre spécifique de l’art martial que l’on croise presque exclusivement dans les films chinois. Lorsqu’on a en tête les visionnages des films de Zhang Yimou, les scènes de combats, de poursuites qui sont ponctuées des grandes envolées et des très grands sauts des combattant·e·s on établit un rapprochement avec cette production. Néanmoins c’est à très petite dose, l’art martial n’étant qu’une minuscule partie constituante de ce film. Le scénario amène surtout autre chose : la
«morale» de cette histoire. Le personnage principal se voit confronté aux choix de la vie, entre ce qui est bien pour elle, pour les siens ou pour celle qui l’a éduquée. Des choix moraux difficiles où se mêlent espérances et sentiments. L’ouverture de ce film débute par une présentation de la principale protagoniste du film, on nous en dit peu et bien assez pour ensuite entrer dans l’histoire. Ce passage est marqué par l’apparition de scènes en couleurs (jusqu’ici, nous nous situons dans un film en noir et blanc).
Si il n’y a rien de particulièrement novateur dans ce que propose le scénario, l’intérêt pour ce film se situe autre part. Ce qui fait de The Assassin une œuvre spéciale et remplie de contradictions c’est sa mise en scène, ses décors, ses costumes. Hou Hsiao Hsien a réalisé ici quelque chose d’assez formidable puisque toutes les séquences qu’il nous donne à voir sont d’une grande beauté. Cette œuvre repose presque exclusivement sur les paysages et l’observation de ces derniers, ils paraissent rythmer le déroulement du film. Sur ce point, on peut signaler que pour une œuvre d’une heure et quarante cinq minutes elle paraît interminable, presque soporifique, il faut être concentré suffisamment pour ne pas piquer du nez. C’est là la difficulté de cette œuvre, qui comme d’autres auparavant, est tellement sublime qu’on en oublie l’histoire et le scénario. Hou Hsiao Hsien nous a donné à voir des scènes magnifiques, des décors et des costumes qui s’accordent selon les colorimétries, selon les rôles des personnages. La mise en scène dans d’immenses plaines, dans des forêts de bouleaux mais aussi dans les pièces des châteaux remplies de draps luxueux est époustouflante et éblouissante. Alors chaque détail, chaque action devient symbolique (remise d’un objet, objet qui se brise, …) et d’une dramaturgie spectaculaire, d’une collision impressionnante.
Pour conclure, The Assassin est une fresque magnifique, une mise en scène inouïe et stupéfiante mais il faut être prévenu puisque ce n’est pas un film facile à suivre. Pour les moins attentifs/attentives et celles et ceux qui veulent aussi voir d’autres petites pépites, je conseille le court métrage Four Roads (2020) de Alice Rohrwacher, une artiste qui en Italie questionne les individus, les générations et leurs façons de vivre alors en période de pandémie. Alice Rohrwacher propose plusieurs courts-métrages qui sont facilement accessibles et à découvrir ! Bien à vous et portez vous bien, Heol Ruz.
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